Vous êtes ici : Accueil Dossiers et Lectures CRISE ET DETTE EN EUROPE : 10 FAUSSES EVIDENCES, 22 MESURES EN DEBAT POUR SORTIR DE L’IMPASSE
INTRODUCTION
L’esclavage, c’est lorsqu’ un système de société est en place pour asservir, voire avilir à tout point de vue un ou plusieurs individus de cette société par des membres de cette même société.
Le système esclavagiste a fait son apparition dans l’antiquité après que les hommes vivant initialement sous forme primitive et se mariant par hordes, aient suffisamment évolué pour s’organiser en société.
Ensuite, il a laissé sa place à la société féodale où les esclaves avaient fait place aux serfs sous les seigneurs féodaux.
A l’étape de la société bourgeoise en concomitance avec le développement économique, les paysans et les serfs devenus ouvriers n’étaient plus taillables ni corvéables à merci, mais pouvaient échanger leur force de travail contre un salaire. Les femmes et les enfants devaient aussi travailler, y compris à domicile. Tous, pour des durées illimitées d’heures par jour.
Les salaires de misère ainsi que les revenus insuffisants des travailleurs de la terre poussèrent ces derniers dans les bras des rentiers, des usuriers et des créanciers impitoyables qui faisaient d’eux des esclaves lorsqu’ils devenaient insolvables.
C’est ainsi qu’au deuxième siècle, à Rome, par exemple, on pouvait compter 20.000 citoyens libres pour 400.000 esclaves, soit 0.05 %.
La révolution industrielle entraînant la mutation de la société bourgeoise en société capitaliste a créé le besoin de plus en plus accru de mains d’œuvre.
La recherche de matières premières pour les usines a donc conduit naturellement les gouvernements européens hors de leurs frontières. Les missions d’exploration et les expéditions leur feront croiser la route des peuples de pays non encore industrialisés, mais assis sur des richesses.
Pour accroître leurs capitaux et affermir leur puissance, les gouvernements européens n’hésiteront pas à réduire les peuples des pays arriérés en une nouvelle forme d’esclavage grâce à la force de leurs armes à feu sur les flèches que détenaient ces derniers.
Avec la bénédiction des hauts dignitaires de l’église catholique, les Papes en tête, ils transformeront les hommes, femmes et enfants de ces pays en objets dépourvus d’identité qu’ils marquaient au fer rouge, troquaient et vendaient à travers le monde entier.
Ce commerce des êtres humains appelé traite négrière va durer du 15 ème jusqu’au 19ème siècle.
Les révoltes parfois sanglantes des esclaves conjuguées aux cris et aux dénonciations des abolitionnistes vont finir par avoir raison de cette honte de l’humanité qui laissera des traces visibles jusqu’à nos jours.
Par devoir de mémoire, nous remonterons l’histoire de l’esclavage jusqu’à la traite négrière.
Puis nous aborderons l’historique de l’abolition de la traite ; verrons les conséquences, les séquelles et les survivances de l’esclavage.
Pour finir, dans un chapitre que nous avons nommé Psychologie de l’Effacement, nous essayerons d’aborder les voies et moyens d’aider les descendants des victimes de ce crime contre l’humanité à évacuer leur douleur et leur doute, ainsi que les descendants des auteurs du crime à transformer leur culpabilité, afin que tous ensemble nous observions une vigilance permanente qui barre la route à toute régression de notre humanité.
A - DEVOIR DE MEMOIRE
I – Histoire de l’esclavage à celle de la traite négrière.
a- l’esclavage et l’antiquité
L’humanité a connu deux grandes périodes d’esclavage. La première fait partie de l’évolution naturelle en colimaçon de la société et se situe entre la société primitive et l’avènement du féodalisme. Cette période a duré quelques centaines d’années, selon Friedrich Engels, philosophe et économiste allemand, ami de Karl Marx dans « origine de la famille ».
Si dans la Rome antique les maîtres romains avaient droit de vie et de mort sur leurs esclaves, dans la Grèce antique par contre, les esclaves étaient traités un peu « humainement » à quelques exceptions près.
On devenait esclave dès lors qu’on ne pouvait plus payer ses dettes à l’usurier ou à son propriétaire terrien. Le créancier pouvait confisquer non pas les biens du débiteur (qui ne possédait rien ), mais la personne même du débiteur y compris sa femmes et ses enfants selon l’importance de la dette. Il les revendait à des marchands d’esclaves pour se rembourser.
Les esclaves étaient des blancs et leurs nombre ne cessait d’augmenter avec les guerres de territoire dont résultaient des prisonniers. Les peuples dits « barbares » qui ne parlaient pas la langue du conquérant tombaient également sous le coup de l’esclavage lorsqu’ils étaient vaincus.
Tandis que la tendance répandue alors était de tuer les prisonniers de guerre, les Egyptiens, les Grecs et les Romains préféraient les garder vivants pour exécuter les grands travaux d’architecture que nous connaissons aujourd’hui. Les pyramides des Pharaons par exemple.
Leur utilité reconnue partout dans les pays européens, fera qu’ils seront mis à profit au péril de leur vie pour ériger les musées, les cathédrales, les châteaux et autres grands monuments historiques.
L’étape bourgeoise de la société évoluant en colimaçon avait remplacé le féodalisme à son crépuscule sans que l’esclavagisme persistante ne s’éteigne pour autant..
Le développement économique concomitant à cette étape générait des besoins de plus en plus accrus en mains d’œuvre pour l’Europe. Cette situation va conduire les caravaniers arabes, marchands d’esclaves à aller chercher la « marchandise » dans les pays d’Afrique, au sud du Sahara. Pendant plus de 400 ans, du XI au XIV ème siécle ces caravaniers vont troquer les noirs africains contre du sel en guise de monnaie. Mais déjà depuis le Ier siècle, les petits voiliers d’Arabie et d’Inde appelés « boutres » pratiquaient le commerce de l’ivoire et des Noirs. Et si au VI éme siècle, on pouvait noter un trafic de Noirs vers Rome, Athènes Bagdad et Téhéran, ces mouvements restaient cependant sans grande influence.
Dans les pays africains aussi, la société suivait le même schéma de développement, mais n’en était qu’au début de l’esclavagisme. On devenait esclave dès lors qu’on était dans l’incapacité de régler ses dettes à l’usurier ou au créancier. Ou encore si on avait volé, tué, ou même croisé par malheur le roi au cours de ses sorties.
Puis cette étape évoluant, les guerres de territoires faisaient de plus en plus de prisonniers qu’on tuait au début mais dont on finit par comprendre l’utilité pour la construction des palais royaux (comme à Abomey au Dahomey) ou des forts (comme chez les Dogons du Mali).
« Nous savons déjà que tout débiteur insolvable est passible de réduction à l’esclavage ainsi que toute sa famille selon le montant de la dette … »ont repris les chercheurs du parti Communiste du Bénin dans leur document intitulé « Les réalités économiques et sociales au Dahomey » à la page 244 en citant le père LABAT ( en 1725.)
L’esclavage, ainsi que la vente des esclaves existaient donc déjà partout dans le monde, aussi bien en Europe, qu’en Asie et en Afrique. C’est ce qui explique la présence des hommes noirs dans les cours royales d’Europe où parfois castrés et devenus des eunuques ils avaient la garde des reines et des courtisanes. Ou encore figuraient parmi les illustres gladiateurs de Rome.
Avec la révolution industrielle, les besoins de matières premières pour faire tourner les machines vont pousser les européens à la conquête de nouveaux territoires par delà les mers et les océans. La découverte de l’Afrique par les Portugais et les Espagnols, puis celle de l’Amérique par Christophe Colomb va permettre de satisfaire les besoins en main d’œuvre en réduisant tout simplement les populations rencontrées en esclavage grâce à la supériorité de leurs armes à feu contre les flèches des autochtones.
b- La traite négrière ou l’esclavage moderne
L’esclavage antique que nous avons vu plus haut et qui correspondait à l’évolution des civilisations partout sur les continents n’a aucunement la même consonance que l’esclavage moderne qui allait s’intensifier et dont le commerce allait prendre une autre tournure plus dramatique appelée la traite.
« L’Europe soit disant « bastion de la civilisation »…forte de ses traditions guerrières, de sa technologie militaire et maritime ainsi que de ses virus… au nom de sa propre prospérité, …de son commerce,et au nom de son Dieu unique, va entreprendre et pour longtemps d’exclure du patrimoine mondial, les civilisations nègres, indiennes et américaines autochtones. » (« la Traite des Noirs de l’Afrique à l’Amérique ». De Richard CHATEAU-DEGAT. Page 24.)
Pour fournir les matières premières aux machines en Europe, les Portugais et les Espagnols furent les premiers à partir à la conquête de l’Afrique et de l’Amérique. Suivis bientôt par les Hollandais, les Anglais et les Français.
Les habitants des pays de leur découverte étaient soumis par les armes ou massacrés s’ils leur résistaient.
La population amérindienne qui était de 80.000.000 avant l’arrivée de Christophe Colomb n’était plus que 10.000.000, 60 ans plus tard.
De celle mexicaine qui était de 25.000.000., il n’en restait plus que 1.000.000 d’individus.
Des 1.000.000 d’Haïtiens, il ne restait que 60.000.
Quant aux indigènes de Cuba, Saint –Domingue ou de la Martinique, ils ont été tout simplement exterminés.
Les chercheurs estiment généralement que 95% de la population précolombienne avaient succombé sous les épées d’acier et autres épidémies de variole, de rougeole, de grippe, de typhus, etc.( cf. La traite des Noirs de l’Afrique à l’Amérique, page 22 )
Dans les colonies d’Amérique se développaient des plantations de café, de coton, de canne à sucre et autres produits agricoles. Pour les travailler, des navires négriers partaient des différents ports d’Europe chargés d’alcool , de poudre, de barre de fer, de tissus européens, de soies indiennes et autres pacotilles contre lesquels seront échangés des captifs noirs en Afrique. Ils étaient chargé également de vivres.
Ces bateaux partaient des ports de Nantes, de la Rochelle, du Havre et de Bordeaux pour ce qui est de la France.
En ce qui concerne l’Angleterre, ils partaient de Bristol, de Liverpool et de Londres essentiellement.
Ces navires partaient aussi des ports de Hollande, de Lisbonne au Portugal, de Séville en Espagne et des ports du Danemark. Première étape.
Arrivée sur les côtes africaines, après avoir vidé leur cargaison, ils se remplissaient des
esclaves noirs, hommes, femmes et enfants que les compagnies avaient pris soin de marquer au fer selon les logos de chaque propriétaire. « On se sert d’une lame d’argent mince, on le fait chauffer, on frotte avec du suif l’endroit où on la veut appliquer, on met dessus un papier graissé ou huilé et on applique légèrement l’estampe. La chaire gonfle, les lettres paraissent en relief et ne s’effacent jamais ». Selon les écrits d’un négrier et rapporté par R. CHATEAU-DEGAT dans son livre à la page 101.
L’être humain ainsi marqué perdait son identité d’origine et devenait pour le restant de sa vie « la chose » d’un autre être humain.
Ces esclaves razziés sur tout le continent noir de l’Ouest à l’Est, étaient parqués tels des bêtes dans des entrepôts en attendant l’arrivée des navires pour l’embarquement vers l’Amérique et les îles du Caraïbe.
C’est ainsi que l’île de Gorée au Sénégal, Ouidah au Dahomey (Bénin), Lagos au Nigeria, Luanda en Angola et Zanzibar en Tanzanie, pour ne citer que ceux là, hébergèrent des entrepôts de triste renom.
Pour le départ sans retour, les esclaves, tous nus étaient disposés telles des sardines afin d’occuper le minimum de place possible et permettre au négrier d’en tasser le maximum
Tout au long du voyage qui durait un ou deux mois, voire plus parfois, les esclaves étaient maintenus pieds et mains enchaînés d’une part et les uns enchaînés aux autres d’autre part. Pour éviter des évasions disaient les négriers.
Les hommes étaient séparés des femmes. Mais dès le départ,le capitaine, les officiers, les matelots membres de l’équipage choisissaient parmi les négresses, celles qu’ils violaient impunément tout au long du voyage.
Les maladies ainsi que des suicides ( ils se laissaient mourir de faim ou se tapaient la tête contre la coque du bateau ) décimaient les cargaisons des esclaves qui étaient accompagnés à chaque voyage par des médecins, des chirurgiens. Les prêtres qui les baptisaient de force avant l’embarquement , les accompagnaient également dans le calvaire qu’ils vivaient jusqu’à destination. Ils n’avaient droit qu’a deux maigres repas sans viande et trois petits bols d’eau par jour. C’était la deuxième étape.
Arrivée dans les îles et en Amérique, les esclaves étaient revendus.
Vers 1762 au Sénégal, un Noir coûtait 35 barres de fer. Au Dahomey vers 1789, il ne coûtait plus qu’une barre de fer, ou une pièce de cotonnade de Rouen…ou un collier de corail, a estimé H. DECHAMPS dans son livre « Histoire de la traite des Noirs », Paris Fayard, 1971.
Le bénéfice que tiraient les négriers de la vente des esclaves avoisinait les 200 % voire 300 % parfois de la mise de départ.
Ils étaient déversés dans les champs et les mines où ils devaient travailler sans compter les heures parfois jusqu’à épuisement.
Les conditions de travail dans les champs et d’alimentation faisaient périr nombres d’entre eux. Ils étaient aussitôt remplacés. Achetés à 30 dollars à peine à leur arrivée, ils étaient revendus plus tard aux marchés de la Nouvelle-Orléans à 1100 dollars ou à 350 dollars à Cuba, paradis des contrebandiers.
Les produits de leur labeur étaient ramenés en Europe par des bateaux qui ne repartaient jamais vides, mais toujours emplis de coton, de riz, de café américain, de sucre de canne etc.
C’était la troisième étape qui bouclait le commerce triangulaire.
Ce commerce qui constitue une plaie et une honte pour l’humanité a duré du XV au XIX ème siècle et a permis aux européens d’atteindre l’apogée de leur développement économique. C’est la raison pour laquelle il l’avait codifié ouvertement en ce qui concerne la France ou institutionnalisé implicitement, en ce qui concerne la Grande Bretagne, la Hollande l’Espagne, le Portugal et les autres.
c- Codification et institutionnalisation de la traite.
« Les africains exportés vers le nouveau monde fournissaient la force de travail des plantations coloniales, plus rarement celle des mines dont les produits – Or, Argent et surtout sucre, cacao, coton, tabac alimentèrent très longtemps le négoce international » a écrit Mr. Elikia M’Bokolo, Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, dans le Monde Diplomatique N° 529 d’Avril 1998, à la page 16.
Le système était bien huilé et si bien rentable pour les économies des pays européens qu’il fallait lui donner des cadres juridiques afin d’en assurer la perpétuation. Puisque par ailleurs ce système constituait la forme la plus répandue de l’organisation du travail de la planète.
C’est Colbert qui promulgua le « Code Noir » définissant le statut juridique des esclaves en 1685. Ce pendant, « Avant la publication du « Code Noir », les esclaves étaient déjà considérés à tous effets transactionnels, testamentaires et fiscaux comme des bien meubles… » écrit Louis SALA-MOLINS, professeur de philosophie politique à Toulouse II, dans son livre intitulé « Le Code Noir ou le calvaire de Canaan » à la page 178.
Le Code Noir est le nom donné dans les îles françaises de l’Amérique à l’ordonnance du roi Louis XIV du mois de Mars 1685, touchant la police des îles et ce qui doit s’y observer principalement par rapport aux nègres selon le dictionnaire de Jacques SAVARY 1723
Ce code stipule en son article 44 : « Déclarons les esclaves être meubles, et comme tels entrer en la communauté… »à la page 178
On peut y lire aussi à l’article 12 que « les enfants qui naîtront de mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des maîtres différents ».page 114.
Enfin à la page 157, l’article 33 nous apprend que « Si par accident involontaire, un esclave, en se défendant contre les violences de son maître, avait le malheur de le blesser, il serait brûlé vivant ».
Tout était mis en place pour que l’esclave dans tous les cas soit condamné d’avance. Il en était de même chez les Anglo-saxons, les esclaves n’étaient pas mieux traités.
Nous savons que les belles femmes esclaves étaient courtisées de nuit par leur propriétaire lorsqu’elles n’étaient pas tout simplement violées. De ces relations secrètes naissaient de multitudes d’enfants métis qui devenaient une part importante de la population esclave.
Un gouverneur demandant à partir de quelle génération les « sangs-mêlés » pouvaient rentrer dans la classe des Blancs et être exemptés de capitation, reçut cette réponse du ministre de la marine : « Il faut observer que tous les esclaves ont été transportés aux colonies comme esclaves, que l’esclavage a imprimé une tâche ineffaçable sur tout leur postérité, même sur ceux qui se trouvent d’un sang-mêlé ; et que, par conséquent, ceux qui en descendent ne peuvent jamais entrer dans la classe des Blancs. Car s’il était un temps où ils pourraient être réputés blancs, ils jouiraient alors de tous les privilèges des Blancs et pourraient,comme eux, prétendre à toutes les places et dignités, ce qui serait absolument contraire aux constitutions des colonies » code Noire page 195.
Tout ceci malheureusement se déroulait avec la caution et la bénédiction de l’Eglise.
d- Rôle de l’Eglise Catholique.
Vers la fin du XIV ème siècle, les navigateurs européens commençaient à être présents sur les côtes africaines. En revenant de la Guinée Cap Vert l’un d’eux( du nom de Nuno Tristao) ramena les 10 premiers esclaves victimes d’une razzia sur le Rio Ouro et les offrit au pape Eugène IV qui devint ainsi le premier propriétaire d’esclaves africains de l’époque en 1441. C’était le début des bonnes relations entre l’église et les conquistadors.
Quelques années plus tard, le pape Nicolas V autorisera le roi du Portugal à conquérir les terres…et à pratiquer le « juste commerce » des païens Noirs en 1454.
Avec le premier contrat accordé par le roi d’Espagne autorisant le commerce négrier en 1528, l’accord politique et religieux au sommet était scellé pour régler le sort des Noirs africains qu’on allait razzier en troupeau. L’autorisation officielle pour les conquérants français s’était faite plus tôt et aucune conscience ne s’en embarrassait
L’Eglise catholique n’a pas seulement soutenu la traite des esclaves, elle l’a justifiée par de nombreuses théories aussi fumeuses les unes que les autres par la voix de ses illustres dignitaires. Elle en a même profité.
C’est ainsi que l’on pouvait apprendre du théologien espagnol François de VITTORIA qui disait vers 1532 ce qui suit : « La providence ayant créé l’Univers pour tous les hommes, nul ne peut faire obstacle à ce que tous les hommes aient libre accès aux richesses de ce monde ; de même l’Evangile ordonnant : « allez, enseignez toutes les nations », nul ne peut légitimement faire obstacle à la prédication religieuse »….Si donc les barbares (les Indiens d’Amérique, mais par extension à tous les peuples coloniaux) font obstacle par la force au désir des étrangers de prendre leur part aux biens du pays, ceux-ci auront le droit de riposter par la force et de garantir leur sécurité en occupant le pays et en soumettant les populations ».
Citation repris par Joseph FOLLIET dans « Le Droit de colonisation. » Paris, Blond et Gay 1930.
Le révérend Père MULLER, lui proclame ce qui suit : « L’ Humanité ne doit pas, ne peut pas souffrir que l’incapacité, l’incurie, la paresse des peuples sauvages laissent indéfiniment sans emploi les richesses que Dieu leur a confiées avec la mission de les faire servir au bien de tous. S’il se trouve des territoires mal gérés par leurs propriétaires, c’est le droit des sociétés lésées par cette défectueuse administration de prendre la place de ces régisseurs incapables et d’exploiter au profit de tous, les biens dont ils ne savent pas tirer partie ». Cité par joseph Folliet.
Quant à Albert SARRAUT, illustre théologien, il évoque en 1931 pour justifier les barbaries commises par les colons, « le droit de la colonisation à la mise en circulation des ressources que des possesseurs débiles détenaient sans profit pour eux-mêmes et pour tous »… Cf. Suret Canale Professeur d’histoire géographie dans son livre « L’Afrique Noire- L’ère coloniale 1900- 1945 à la page 144 et 145.
En clair, dira Suret Canale, « l’idée d’une malédiction divine particulièrement sur la race noire, et justifiant ainsi l’esclavage des Noirs, sera fréquemment exprimée du XVI éme au XVIII éme siècle chez les auteurs catholiques. »
Encore au XIX éme siècle, cette idée reste présente dans la pensée du Père LIBERMANN, fondateur de la congrégation du Cœur Immaculé de Marie (bientôt fusionnée avec celle du Saint-Esprit). Selon ce père, « L’aveuglement et l’esprit de Satan sont trop enracinés dans ce peuple, et la malédiction de son père repose encore sur lui ; il faut qu’il soit racheté par des douleurs unies à celles de Jésus, capables d’expier ses péchés abrutissants …afin de le laver de la malédiction de Dieu ». Citation tirée par Georges GOYAU de « La France missionnaire dans les cinq parties du monde. » Paris Plon, 1948, Tome II à la page 177.
En bref, ce ne sont pas les méfaits de la traite et de la colonisation qui sont à la base des misères des peuples noirs, mais un péché originel qui pèse sur « la race ».
La part de responsabilité de l’Eglise catholique dans la traite des esclaves est avérée, puisque les missionnaires impliqués dans ce trafic recevaient leur ordre de mission du vatican. L’organe chargé de gérer les missions et les missionnaires étant la « Sacrée Congregation de Propaganda Fide » (pour la propagande de la foi) créée en 1622 par le pape Grégoire XV
Et dans les îles, à la Martinique par exemple, « Le clergé est lui aussi propriétaire d’esclaves en grand nombre, 900 chez les Jésuites, 500 chez les Dominicains. Nul ne s’en étonne. » Cf. les cahiers du patrimoine : Esclavages, Tome III à la page 84.Du conseil Régional de Martinique.
Heureusement pour les esclaves, tous les religieux n’obéissaient pas complètement à leur maîtres du Vatican, et que plus tard bon nombre d’entre eux avaient reconnu leur faute.
Mais le mal était fait car Louis SALA-MOLINS en citant PEYTRAUD page 438 écrivait que le Code Noir, est « l’œuvre de Colbert, inspiré à la fois de la Bible et du droit romain, du christianisme et du droit canonique.
Tout s’était passé à l’époque comme si les Indiens, les Amérindiens et les Africains rencontrés dans leur propre espace de vie n’avaient ni biologie, ni culture ni âme.
En échos aux révoltes des esclaves eux-mêmes, de plus en plus de voix commençaient à s’élever contre cette manière de maltraiter une partie de l’humanité. Les abolitionnistes constitués par des citoyens regroupés en organisations, des politiques, des philosophes et surtout des parlementaires réclamaient la fin du système lucratif mais dégradant et inhumain que constituait la traite.
II – Historique de l’Abolition
a- Les révoltes des esclaves.
Les navigateurs européens avaient intensifié la traite négrière à partir de 1442. si bien qu’en 1800, plus de 20.000.000 d’hommes de femmes et d’enfants africains avaient déjà été razziés, troqués et déportés vers les colonies d’Amérique et des îles des caraïbes.
Dans les colonies, la vie d’esclave devenait de plus en plus insupportable. Les tentatives d’évasion individuelle ou collective étaient fréquentes. Après maints échecs les esclaves organisaient de mieux en mieux leurs révoltes.
La plus spectaculaire et réussie fut celle des esclaves d’Haïti sous le commandement d’un officier de l’armée française, descendant d’esclave.
Les esclaves d’Haïti
Après le triomphe de la révolution française en 1789, la convention décréta l’abolition de l’esclavage le 4 Février 1794.La constituante en débattant des colonies du 7 au 15 Mai 1791 reconnut et accorda les mêmes droits politiques aux Noirs, au même titre qu’aux Blancs. Toussaint Louverture, officier dans l’armée française fut envoyé à Haïti pour aller y veiller. Le spectacle affligeant qu’il y découvrit et la volonté affichée des propriétaires d’esclaves ainsi que des colons à perpétuer l’esclavage l’ont poussé à prendre fait et cause pour les esclaves.
En trois ans, il réussit à libérer le peuple Haïtien du joug de l’esclavage et proclama l’indépendance du premier Etat noir en 1794 sous le mot d’ordre de Liberté et Egalité.
Plus tard, le mot Fraternité y sera rajouté pour toute la France.
Toussaint Louverture, né en 1743 d’un père originaire d’Allada au Dahomey actuel Bénin, infligea une humiliation à l’armée de la couronne britannique qui venait le combattre pour récupérer l’île.
Puis en 1802, Napoléon Bonaparte rétablit officiellement l’esclavage et fort de ses succès en Europe, il envoya une armée de 20.000 hommes à Haïti sous le commandement du Général Leclerc. Ce dernier écopa du premier Dien Bien Fu de la part du général Noir Toussaint Louverture.
Mais la peur de voir cet exemple faire tâche d’huile dans les colonies et ailleurs dans le monde conduit les puissances européennes et américaines à cerner rapidement la jeune première République Noire Indépendante. Elle fut étouffée et son premier président trahi, fut capturé par surprise et fait prisonnier. Emmené en France, il sera enfermé au Fort de Jour où on le laissera mourir à petit feu. Cf. Mariane du 16-22 Janvier 2010 page 11.
Partout, les esclaves se révoltaient et les révoltes s’était intensifiée depuis la Révolution française.
Au Brésil les 3.000.000 d’esclaves accueillis provenaient du Soudan, du Ghana et du Nigeria. Parmi eux étaient de nombreux islamistes. Ce sont ces derniers qui furent à la base des révoltes.
Leur argumentation était la suivante : Allah, Dieu qui a créé tous les hommes ne peut autoriser que certains vendent leurs prochains, encore moins les traitent comme des marchandises, voire des choses. « C’est ainsi qu’en 1835, le Brésil assiste au, soulèvement le plus grave de tous connu sous le nom de la révolte des Malès (Levante dos Malès), nègres islamisés. Cf. Les Cahiers du Patrimoine Tomme III page 20. la violence des révoltes au Brésil va conduire les colons locaux à s ‘émanciper de la métropole Portugal et à interdire eux mêmes toute importation de nouveaux esclaves. L’abolition était initiée.
b- Luttes des Abolitionnistes
Dès 1700, les philosophes rationalistes français du siècle des lumières, furent les premiers à critiquer le système et à en réclamer l ‘abolition.
Mais avant eux, ce fut les Quakers (un groupe protestant évangélique en Amérique et en Grande Bretagne) qui en 1671 critiquaient courageusement l’institution de l’esclavage des Noirs.
Plusieurs Associations pour l’Abolition vont être créées aussi bien aux USA qu’en Grande Bretagne de 1777 à 1787.
Aux USA, à partir de la révolution américaine, Georges Washington, Thomas Jefferson et Benjamin Franklin vont s’opposer vigoureusement au système en 1776.
En France, c’est en 1788 que la Société des Amis des Noirs sera fondée en échos à l’actualité dans le monde au sujet de l’esclavage et en réclamer la fin, avant que l’année suivante, la Révolution triomphante ne l’abolisse effectivement …Mais pas pour longtemps !
Les pressions des abolitionnistes de plus en plus fortes aboutirent en 1807 au vote de loi simultanément en Grande Bretagne et aux USA pour abolir le commerce des esclaves sans que ceux qui étaient déjà esclaves ne soient libérés. Ils le seront dans la deuxième moitié du XIX éme siècle lorsque la Grande Bretagne sous la pression de Thomas Foweil Buxton et Wilberforce William sur les parlementaires, utilisera sa puissance navale pour diminuer la traite des esclaves dans le monde entier.
Le philosophe et économiste allemand de la fin du 19éme au début du 20éme siècle, Werner Sombart écrivait : « Nous sommes devenus riches parce que des races entières sont mortes pour nous ; c’est pour nous que des continents ont été dépeuplés ».
Un historien de Bristol en Angleterre disait : « Il n’y a pas une brique dans la cité de Bristol qui n’ait été cimentée avec le sang d’un esclave. Domaine somptueux, vie luxueuse, domestiques en livrée provenaient des richesses tirées de la souffrance et des gémissements des esclaves, et vendus par des marchands de Bristol. » cité par Eric Williams, dans « Capitalisme et Esclavage », Paris, présence Africaine, 1968 page 85.
Entre temps, les rois et chefs de tribut africains qui prenaient conscience que leur pays se vidait de ses forces vives et ne voulaient plus continuer ce commerce, étaient eux-mêmes capturés, faits prisonniers et déportés vers d’autres colonies. Ce fut le cas de Béhanzin dernier roi du Dahomey l’actuel Bénin. Il mourut en exil à Blida en Algérie après un premier séjour aux Antilles.
Il y eut également des rois ainsi que d’éminents membres du clergé parmi les abolitionnistes. Ce fut le cas du roi Charles V qui fut le premier à interdire l’esclavage indien en 1530 avant que Louis XIII n’autorise la traite en 1642..
Puis, en 1639, le pape Urbain VIII interdit l’esclavage des Noirs et des Indiens, mais ne sera pas obéi.
c- La traite clandestine
Malgré les lois votées dans plusieurs pays pour l’abolition de la traite, les négriers vont poursuivre leurs activités de manière clandestine.
Parfois, des bâtiments négriers déversaient leur cargaison d’esclaves vivants à la mer lorsqu’ils étaient pris en faute.
Ce commerce était trop lucratif et on y avait pris goût. Aussi, jusqu’en 1836 parmi les hommes qui continuaient à le défendre figurait le Monseigneur BOUVIER évêque du Mans qui clamait qu’on pouvait légitimer le commerce des esclaves noirs, « à la seule condition que les nègres seront justement privés de leur liberté, qu’on les traitera humainement et qu’il n’y aura point de fraude dans le marché ». Cf. « De l’esclavage chez les nations chrétiennes, P. Larroque, Paris 1864, pages 31 et 32.
La traite négrière clandestine a donc bravé pendant près d’un siècle encore les interdictions officielles de la traite sur le plan national de plusieurs pays européens. Toutes les couches et classes sociales qui en avaient les moyens en achetaient soit pour leur propre usage, soit pour les revendre .Ils avaient tous intérêt à sa poursuite.
Même certains philosophes du siècle de lumière y prenaient leur part. Ainsi « Quand Chateaubriand mourut en 1794, il lui restait 150.000 livres d’arriérés à percevoir, non compris les intérêts accumulés » selon R. CHATEAU-DEGAT à la page 140 de son livre.
d- Les traités internationaux sur l’abolition.
Après plusieurs tentatives d’abolition restées sans succès dans chaque pays, la préoccupation pour mettre définitivement fin à la traite était devenue internationale.
Aussi, pour la première fois en 1815 fut signé à Vienne en Autriche un traité qui pose le principe de la fin de la traite. Sans effet.
Alors en 1890 eut lieu la deuxième conférence de Berlin en Allemagne sur l’abolition de l’esclavage en Afrique. Avant que le 25 Septembre 1926 n’ait lieu la Convention Internationale sur l’esclavage à Genève en Suisse.
Ce ne sera qu’en 1948 que cette interdiction sera clairement mentionnée en article 4 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (D.U.D.H.)
En France, c’est le républicain Victor SCHOELCHER qui fut à l’origine de la loi qui en 1848 abolit l’esclavage de manière définitive, alors que dans les colonies britanniques une loi est passée en 1833 déjà pour libérer tous les esclaves. « La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine » a proclamé la Constitution républicaine de 1848 .Cf. Monde Diplomatique de Novembre 2001 P.28
Le 13éme amendement à la constitution américaine abolit définitivement l’esclavage aux Etats Unis en 1865 après la guerre de sécession entre le Nord et le Sud sur la question de l’esclavage et qui a duré 5 ans de 1860 à 1865.
Après la proclamation de la fin de l’esclavage par Abraham LINCOLN, 3.000.000 d’esclaves furent émancipés et devinrent des citoyens américains à part entière.
La traite des esclaves ayant officiellement pris fin, l’immense richesse générée par le commerce triangulaire devait être compensée pour maintenir florissante l’économie des puissances européennes. Les méthodes employées pour développer ce nouveau système ainsi que les théories pour le soutenir ont choqué et continuent de choquer des honnêtes gens, de simples démocrates ou encore des politiques ou des parlementaires de par la planète. Que ces derniers aient vécu cette situation douloureuse dans leur chaire ou qu’ils en soient des bénéficiaires.
III- Les Conséquences, Séquelles et Survivances de la Traite.
Le colonialisme post esclavagiste a maintenu béante la plaie engendrée par plus de 10 siècles de traite négrière. Cette traite a laissé par ailleurs des traces sur tous les continents, de l’Afrique en Asie en passant par les Amériques Nord Centre et Sud confondus. Des traces qui sont encore perceptibles de nos jours.
Ce nouveau système est tout aussi douloureux pour les peuples qui le subissent encore de nos jours alors que nous sommes passés au 21éme siècle.
1- Les conséquences de la traite
Les conséquences sont multiples sur plusieurs plans.
a-Sur le plan démographique
Le dépeuplement de l’Afrique a été le premier constat de ce drame qui s’est joué pendant plus de 10 siècles. L’Afrique et l’Inde ont été vidées de leurs forces vives et particulièrement du 15éme au 19éme siècle.
« La population africaine qui en 1600 représentait les 30% de la population mondiale, n’en faisait plus que 10 % en 1900 ». Cf. R. CHATEAU-DEGAT, p.151
Alors que la population mondiale avait doublé dans la même période.
Le dépeuplement des continents a servi à peupler les îles françaises et britanniques telles que la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion, l’Île Maurice, Haïti et autres îles des Caraïbes. Y compris les Amériques Nord, Centre et Sud après le massacre des populations autochtones.
Le métissage massif est une autre conséquence de l’esclavage. La domination des maîtres sur leurs esclaves dans les colonies autorisait également ces derniers à se soumettre les femmes noires appelées négresses avec lesquelles ils avaient de nombreux enfants métis sans qu’un mariage ne soit consenti.
La menace de disparition qui pèse sur le reste des populations autochtones rescapées des massacres et des exterminations perpétrés notamment sur les Amérindiens, les Incas et autres populations indigènes des îles des caraïbes en est une autre.
b-Les préjugés raciaux.
L’esclavage a créé ce qu’on appelait aux XVIII éme et XIX éme siècles, le préjugé de couleur : une hiérarchie des couleurs de peau avec à son sommet la couleur blanche.
La traite ayant officiellement pris fin, il fallait trouver les moyens de poursuivre le système sous d’autres formes. C’est alors que virent jour des thèses racistes et religieuses visant à soutenir idéologiquement la poursuite de l’exploitation des hommes et des richesses de leurs pays par la colonisation.
Il a fallu que « des savants allemands démontrent scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand » …pour diminuer la frénésie des théoriciens de la supériorité des Blancs sur les Noirs. Cf. Georges Clemenceau, « Réponse à Jules Ferry », chambre des députés, Paris, 30 Juillet 1885. Dans le Monde Diplomatique de Novembre 2001 P.28
Georges Clemenceau qui par ailleurs au cours de ce long discours prononcé, en réponse à la plaidoirie de la politique de Jules Ferry sur la supériorité de la race blanche sur la race noire, pourfendait l’inanité de la colonisation jusque dans son principe : « Non, il n’y a pas de droit des nations dites supérieures contre des nations inférieures. » Il appuya sa thèse par les cultures indiennes, chinoises (Hindous, Conficius) ainsi que leurs civilisations pluri-millénaires.
Et si ces débats ont contribué à faire chuter le gouvernement de Jules Ferry, les défenseurs du colonialisme ne manqueront pas pour autant d’appui.
a- La crise identitaire
« 150 ans après l’abolition de l’esclavage, le Martiniquais éprouve encore un grand malaise à exprimer son passé historique et c’est souvent avec une certaine gène qu’il envisage sa filiation avec l’Afrique » a écrit Richard CHATEAU-DEGAT pour la quatrième de couverture de son livre intitulé La Traite Des Noirs de l’Afrique à l’Amérique.
« Autant dire que le préjugé racial, le complexe d’infériorité, la honte de sa propre « noirceur » et de son africanité restent plus présents qu’on ne veut souvent l’admettre chez nous ». a t-il ajouté.
Mais ce constat n’est pas valable que pour les Martiniquais ni pour les Guadeloupéens. Il est également bien valable pour tous les individus de peau noire à qui on a fait croire pendant plusieurs siècles que non seulement la noirceur de leur peau les met d’office hors du genre humain, mais également que leur cerveau ne recèle pas les mêmes attributs de la matière grise que le cerveau des Blancs.
b- La présence de Population émigrée
Au temps de la traite, les esclaves n’étaient pas seulement vendus pour aller travailler dans les mines et les plantations. Ils étaient également achetés par tous ceux qui en avaient les moyens et chacun en avait un ou deux voire dix ou plus selon l’usage qu’il désirait en faire. Les familles bourgeoises, les bouchers, les tailleurs, les boulangers en faisaient l’acquisition soit pour le ménage à leur domicile, soit à leur atelier comme ouvriers sans que la salaire suive. Par ailleurs, pour les hommes de la haute société, cela faisait bien d’avoir une maîtresse noire…Ce furent les premiers émigrés de force.
Pour les sociétés européennes donc, la conséquence lointaine d’avoir déporté des êtres humains est aujourd’hui une présence physique d’une population émigrée composée des ressortissants des « vieilles colonies ». Et aucune loi n’arrive à endiguer ce phénomène qui ira en s’amplifiant.
2- Les séquelles de la traite
Les séquelles de la traite sont multiples.
Sur le plan politique
Les comptoirs des puissances européennes avaient remplacé les administrations locales au temps de l’esclavage et de la traite. Nous savons donc que c’est par la supériorité des armes à feu sur leurs flèches que les peuples d’Afrique et d’ailleurs ont été soumis aux négriers puis aux colons. Etant passé d’une main à une autre de même nature, politiquement, la situation de spoliation et de misère que vivent ces peuples depuis des siècles ne fait que s’aggraver avec le temps.
Dans certains pays anglophones devenus indépendants subsiste le système de Premier Ministre. La reine d’Angleterre demeurant le garant de la Constitution de ces pays. c’est le cas par exemple de l’Île Maurice, La Nouvelle Zélande et bien d’autres encore.
Sur le plan culturel,
L’évacuation par la force des cultures des peuples colonisés n’a pas épargné leurs langues. Aussi domine la langue de l’ancienne puissance utilisée comme langue officielle dans l’administration surtout. Par exemple le français dans les pays francophones et l’anglais dans les pays anglophones. Même si dans certains autres pays devenus indépendants la langue originelle est rétablie dans ses droits, c’est la langue de l’ancienne puissance qui emporte la préférence dans le choix de la première langue étrangère. En Ethiopie par exemple pour l’anglais ainsi que de nombreux autres pays arabes.
Sauf en Nouvelle Zélande où les Maoris, populations autochtone dont j’ai eu le bonheur de faire la connaissance, ont su par leur lutte imposer le maintien de leur langue et faire de la Nouvelle Zélande, un pays bilingue jusque dans les universités.
Toujours sur le plan culturel, il convient de signaler la perte pour les esclaves mêmes affranchis de leur nom. Ils portaient le nom de leur propriétaire que certains ont choisi de garder après leur libération. On les rencontre partout dans le monde entier, surtout aux Etats Unis et dans les pays africains. D’autres, par contre, ont choisi de porter le nom de leur pays d’origine lorsqu’ils s’en souvenaient encore. C’est l’exemple de Mr. DAHOMEY et de Mr. CONGO que j’ai eu la chance de rencontrer à la Guadeloupe.
Ainsi donc, jugeant leur culture la seule valable, les colons procédèrent au remplacement pur et simple de la culture pré-existante des peuples colonisés par la leur.
Voici ce qu’en pense Suret Canale historien français dans son livre : l’Afrique Noire l’ère coloniale de 1900 – 1945 à la page 463. : « A par la restauration, tardive, des palais royaux d’Abomey (Dahomey), rien ne fut fait pour assurer la conservation des monuments de l’époque coloniale, qui furent laissés à l’abandon ou détruits.
En définitive, l’action coloniale en matière culturelle se limita à peu près strictement à l’enseignement, un enseignement conçu comme exclusivement utilitaire, et procédant de la seule culture jugée valable : celle du colonisateur. »
On peut noter en passant le processus extraordinaire de multiculturalisation que la traite a suscitée dans les Amériques et les Antilles du fait d’y avoir regroupé des populations de cultures et d’horizons différents.
Sur le plan économique
Il est indéniable que le dépeuplement massif ainsi que l’évasion physique ont fait défaut à l’économie des continents qui les ont subi : l’Afrique et l’Inde.
« la liberté volée, la dignité bafouée, l’humanité refusée, le sang versé des centaines de milliers, des millions, des dizaines de millions de fois, cela il faut l’admettre, a été commis, planifié, défendu et poursuivi simplement sommes-nous tentés de dire, afin que ceux qui possédaient la puissance et la richesse aient davantage de richesse et de puissance » a écrit R. CHATEAU-DEGAT dans son livre à la page 29.
Aujourd’hui, partout dans ces colonies ne peut avoir lieu un développement économique qui fasse ombrage à celui de l’ancienne puissance. Le verrouillage du système économique par contrats inégalitaires interposés est de plus en plus visible pour les observateurs extérieurs et palpable pour les peuples qui le subissent de l’intérieur.
3- Les survivances du système d’esclavage
Nombreux sont les hommes et les femmes qui subissent encore de nos jours les manifestations de discrimination liées à la couleur de leur peau si elle n’est pas blanche, et cela, qu’ils soient ou non descendants des esclaves de la traite. Ces manifestations résultent et témoignent des survivances les préjugés savamment élaborés défendus et diffusés par ceux qui ont intérêt à la pérennisation de cette idéologie raciste.
Nous savons que le processus d’abolition internationale de la traite qui a démarré dès 1815 à Vienne en Autriche a eu beaucoup de mal à aboutir.
Il a fallu la deuxième Conférence de Berlin en 1890, puis enfin la Convention internationale de Genève en Suisse en 1926 avant que le phénomène ne donne des signes d’essoufflement. Soit plus d’un siècle après les premières volontés affichées de l’endiguer.
Mais l’abolition qui a fini par intervenir a t-elle réellement mis fin à ce système ?
a- Comment y croire lorsque Haïti, la première République Noire à avoir libéré ses esclaves a déclenché la hargne des puissances européennes et américaines qui n’ont pas hésité à l’asphyxier ?
Quelques années après la proclamation de son indépendance, de 1803 à 1825 un blocus lui fut imposé. Haïti dû utiliser toutes ses forêts pour produire de l’énergie. Une situation qui entraîna la déforestation dont les mêmes qui semblent compatir à ses malheurs se désolent aujourd’hui.
Pour lever le blocus et permettre sa reconnaissance internationale, la France a exigé une indemnité de 150 millions de francs-Or, cinq fois son propre budget de l’époque. Ce serait l’équivalent du dédommagement des propriétaires d’esclaves de l’île.
C’est en quelque sorte la victime qui indemnise son bourreau !
Cette dette estimée à 21 milliards de dollars aujourd’hui, Haïti a fini de la payer en 1947, soit pendant plus d’un siècle.
Entre temps, les USA qui pourtant venaient d’emporter la guerre contre l’esclavage chez eux avaient occupé l’île de 1915 à 1934 et imposé des pouvoirs dictatoriaux fantoches dirigés par la minorité créole métisse.
Le prétexte évoqué par Robert LANSING, Secrétaire d’Etat américain à l’époque était que : « La race noire est incapable de se gouverner seule puisqu’elle a une tendance inhérente à la vie sauvage et une incapacité physique de civilisation ».
« Il faut savoir que le peuple Haïtien a payé et continue de payer pour un crime qu’il a commis il y a deux siècles ; un crime de lèse-système ! Celui d’avoir été le premier peuple à dire NON à un système de déshumanisation et d’abêtissement du genre humain, le système esclavagiste ». Cf. Gilbert KOUESSI, chercheur individuel béninois en Sciences Politique et Sociale dans : Haïti, Peuple Héroïque et Martyr.
b- Comment y croire au sujet de l’Afrique du Sud ?
L’apartheid pratiqué en Afrique du Sud pendant plusieurs années, est un système de parfaite survivance de l’esclavage moderne.
En effet, lorsque les premiers conquistadors de l’exploration portugaise abordèrent les côtes de cet immense territoire que constitue l’Afrique du Sud, en 1488, ses populations étaient loin d’imaginer la suite de cette rencontre que eux plaçaient sur le plan de l’amitié, de la cordialité et de la convivialité.
Les Portugais seront suivis des Espagnols des Hollandais puis des Britanniques.
Pendant plusieurs siècles de 1488 à 1898 les arrivants d’origines diverses vont ensemble procéder à la découverte des nombreux gisements de diamant et d’or du pays.Puis vont commencer à se battre entre eux pour le contrôle du pays de leurs hôtes. A la fin, lorsque la paix fut signée le 31 Mai 1902, les Noirs vont être exclus de la gestion même de leur propre pays. Un nouveau système de discrimination sera érigé en politique de gouvernement : l’apartheid.
L’apartheid dénie aux Sud Africains tous droits politique, économique, humain et individuel dans un pays de 43 millions d’habitants dont les Noirs totalisent 78 % et les Blancs 11 %, 9 % de métis et 2.6 % d’Indiens et d’Asiatiques. Les 11% de Blancs vivaient sur les 93% du territoire, tandis que sur les 7% restants devaient s ‘entasser les 89 % de la population.
Après 4 siècles de lutte, les Noirs retrouveront leur dignité bafouée grâce à leur persévérance avec l’aide et la complicité d’autres Blancs plus intelligents que ceux qui les avaient excluent de tous les espaces de la vie de leur propre société.
Malgré toutes ces années de mépris et de violences subis par les Noirs, la transition se fera sans effusion de sang. Un Noir, Nelson MANDELA est devenu Président de ce vaste et riche pays qu’est l’Afrique du Sud en 1994, battant en brèche les thèses vaseuses et fumeuses selon lesquelles « la race noire est incapable de se gouverner seule…. » (Selon le Secrétaire d’Etat américain en 1915 au sujet d’Haïti en 1915…)
Les Sud Africains nous ont donné une belle leçon de psychologie humaine sur laquelle nous reviendrons dans la dernière partie de notre exposé. Partie que nous avons intitulée : Psychologie de l’effacement.
B- Psychologie de l’effacement
1- Quelques notions scientifiques.
Depuis plusieurs siècles la notion de race est évoquée sous forme plurielle. On parle facilement de la « race noire » et de la « race blanche ».
Le hasard a voulu que le développement économique notamment des sociétés européennes soit en avance de plus de deux cents ans sur celui des pays africains et américains rencontrés lors de leurs explorations au milieu du XV éme siècle.
D’avoir atteint le monothéisme sur le plan religieux et d’avoir déjà su fabriquer des navires et des armes à feu, a pu faire croire aux explorateurs que c’est la couleur blanche de leur peau qui en était à la base. Du coup, associant la couleur de peau au niveau d’évolution des populations découvertes, ils en ont déduit que forcément les populations à peau mate (les Arabes), jaune ( les Asiatiques), rouge (les Indiens ), et noire ( les Africains) étaient inférieures à eux autres, hommes à la peau blanche.
Les travaux des chercheurs allemands (STRASBURGER) ont décrit les CHROMOSOMES pour la première fois en 1875. Et, depuis, les recherches ont montré que l’homme possède 23 paires de Chromosomes soit 46 au total, qu’il soit Blanc ou Noir.
Les découvertes plus approfondies ont prouvé depuis ce temps que l’espèce humaine possède un patrimoine génétique unique qui le distingue des autres espèces animal et végétal notamment. son ADN (Acide Désoxyribonucléique,et son ARN ( Acide Ribonucléique)
Il existe donc une et une seule race humaine et l’Homo Sapiens est un et un seul.
Et jusqu’à nouvel ordre, Blancs et Noirs appartiennent à la même race.
2- Le Racisme
Le racisme est donc le refus de reconnaître l’existence de l’autre qu’on décrète inférieur à soi. Cette notion ne repose sur aucune donnée scientifique ni génétique.
Seule la mélanine permet de faire la différenciation entre Noir et Blanc. En effet, la mélanine est un pigment brun foncé qui donne la coloration normale (pigmentation) à la peau, aux cheveux et à l’iris (des yeux).(Petit Robert)
Elle est simplement très abondante chez les individus à peau noire.
Son absence congénitale entraîne l’albinisme. Les albinos se trouvent par conséquent dépourvus de la pigmentation de la peau. Et cette dépigmentation peut se produire aussi bien chez certains Noirs que chez certains Blancs.
La présence pathologique de la mélanine provoque le cancer de la peau qu’on appelle Mélanome qui peut apparaître aussi bien chez les Blancs que chez les noirs.
3-La notion d’intelligence
La notion d’intelligence est une notion tout à fait relative. Elle n’est pas liée à la couleur de la peau. Tous les êtres humains naissent intelligents. Ce qui les différencie par la suite est essentiellement l’environnement au sein duquel ils vont grandir et évoluer, ainsi que les conditions de vie qu’on leur offrira pour développer leur intelligence.
Quelques exemples
Le Général Toussaint LOUVERTURE né à Haïti d’un père esclave venu du Dahomey (Bénin) qui a pu mettre en déroute les armées de la couronne britannique et du puissant Bonaparte Napoléon invincible pendant ses guerres en Europe.
S’il n ‘avait pas pu faire des études, jamais il ne serait parvenu à mettre en évidence cette performance de génie militaire qui sommeillait en lui.
Le Président Nelson MANDELA était un avocat avant son arrestation. Il est sorti de prison et est devenu le premier président noir de l’Afrique du Sud. S’il avait végété dans les ghettos de Sowéto, il n’aurait sûrement jamais pu parvenir à ce sommet.
Passons à présent à ceux que nous connaissons moins bien pour avoir entendu rarement ou presque pas parler d’eux.
Le chevalier de Saint Georges. Nous allons tout simplement reprendre sa biographie présentée par l’écrivain Alain GUEDE dans son livre intitulé « Monsieur de Saint Georges, Le Nègre des Lumières ».
Enfant mulâtre né en 1739 d’une esclave d’origine sénégalaise et d’un père planteur noble d’origine picarde Guillaume Pierre Tavernier de Boulogne, le chevalier…..aux multiples talents : escrimeur, danseur, violoniste et compositeur….En 1775, l’Almanach musical qualifiait sa formation de « meilleur orchestre pour les symphonies qu’il y ait à Paris, et peut-être dans l’Europe »… Nommé directeur de l’Opéra Royal par Louis XVI…
Lorsque la révolution éclata en 1789, il s’y engagea et remporta de nombreuses victoires. Mais la révolution échoua et il retourna à la musique. Il mourra en 1799 à l’âge de 60 ans.
Napoléon en rétablissant l’esclavage, fit brûler ses œuvres de création musicale comparées à celles de Mozart …Afin dit-il qu’on ne puisse un jour imaginer que le cerveau d’un Noir ait des capacités comparables à celles du cerveau d’un blanc….
Un autre exemple est celui de James Robinson Johnston. Métis né en 1876 à Halifax au Canada, il était docteur en droit et en lettres, Président d’Université. Il a excellé dans le droit criminel et a beaucoup travaillé et milité contre la discrimination au Canada, en oeuvrant pour l’ouverture des écoles pour les Noirs. Il encouragea également l’éducation des jeunes noirs. Brillant avocat spécialisé dans les affaires militaires et criminelles. Il estima que la meilleure manière d’aider les Noirs est l’éducation et créa des instituts d’agronomie notamment. Mais ses activités ne furent pas au goût de tout le monde et il fut tué en 1915 à l’âge de 39 ans.
Plus près de nous est le Malien Cheik Modibo Diarra qui se définit lui-même comme un soldat du développement de l’Afrique.
Astrophysicien à la Nasa, il y est célèbre par sa participation scientifique remarquable.
En 2006, interviewé, il dit en substance : « Les organismes internationales s’émeuvent de la fuite des cerveaux tout en volant les cerveaux africains…..Nous bénéficions d’une jeune génération qualifiée, malheureusement pas en mesure, en Afrique, de faire valoir ses compétences…L’Afrique dispose aujourd’hui de nombreux jeunes très compétents, tout à fait capables d’utiliser ces technologies comme leurs homologues du monde entier, mais ils vivent dans un environnement où les investissements n’ont pas suivi ni dans les infrastructures ni dans les recherches… »
Ce qui revient à ce que nous avons dit plus haut : l’intelligence n’est pas liée à la couleur de la peau, mais aux conditions de vie et de développement…
Le dernier exemple dont nous voulions vous entretenir est celui de ce jeune Sud Africain qui avait quitté les bans de l’école à l’âge de 14 ans parce que ses parents n’avaient pas eu les moyens de lui faire poursuivre les études. Puis ses parents disparus trop tôt, il s’était retrouvé dans la rue, dormant sous les ponts. Il menait une vie de SDF. Il obtint le poste de jardinier de l’école de médecine de la ville du Cap. Il n’avait jamais étudié la médecine, mais curieux, il apprit rapidement en suivant les techniques de greffe sur les chiens et les porcs. Tout en continuant à dormir dans la rue. Il se perfectionna en assistant aux expertises sur les animaux. Il se transforma et fut pris par le docteur BARNARD dont il intégra l’équipe, tous des Blancs sauf lui. En 1967 il greffa Louis W. Une première greffe de cœur qui fut saluée par le monde entier, mais il ne pouvait figurer sur la photo que le monde entier découvrit. A l’époque de l’apartheid, il aurait été arrêté et fusillé pour avoir touché le sang d’un Blanc et l’équipe du Docteur aurait été accusé complicité.
Tout le restant de sa vie il opérait dans la clandestinité et enseignait la chirurgie à des étudiants qui l’appréciaient énormément.. Il ne put s’offrir un logement correspondant à ses compétences reconnues et appliquées et vivait donc dans une baraque sans lumière électrique ni eau courante dans un ghetto de la périphérie de la ville. Il n’avait qu’un salaire de technicien Le maximum que devait percevoir un Noir sous l’apartheid.
Après la disparition de l’apartheid, il reçut une décoration et un diplôme de médecin Honoris Causa, mais n’a jamais réclamé pour les injustices dont il a souffert durant sa vie.
Après 40 ans de chirurgie et d’enseignement, il se retira avec une pension de 275 dollars par mois. Il s’appelait….. Docteur HAMILTON..NAKI..
4-Guérir les blessures de l’histoire
« Le bourreau tue toujours deux fois, la deuxième fois par le silence » a dit Elie WEISEL, prix Nobel de la paix cité par Doudou DIENE dans Sources Unesco N° 99 de Mars 1998.
La préservation de la mémoire de la traite négrière est d’une importance capitale en rapport avec à la taille du préjudice.
L’efficacité de cette préservation repose sur son enseignement, sa diffusion sur des supports qui traversent les temps pour aller de génération en génération afin que ce génocide perpétré à travers des siècles et par delà les continents ne se reproduise plus jamais.
Les blessures engendrées par la traite négrière sont gravées dans les mémoires. Et « Ces mémoires blessées sont le dépositaire de souffrances et d’injustices subies par des individus, des groupes et des nations qui ont été victimes d’agressions majeurs, de traumatismes et de deuils, récents ou anciens, causés par d’autres individus, groupes ou nations… » Propos recueillis par Mike BROWN. Au cours du « Débat autour de l’insécurité humaine » dans la revue « Changer International N° 333 de Septembre-Octobre 2008.
Aux yeux de ces victimes , tout comme à nos propres yeux aujourd’hui, avec le recul et les progrès accomplis par la science, rien, encore moins une référence éthique ne saurait justifier ces actes.
La paix réelle
La paix qui pourrait résultée de ce crime intra planétaire commis ne pourrait résulter que de la remontée à la surface des actes posés, de leur étude approfondie pour compréhension.
Une réelle explication fournie par les archives et les mémoires des victimes sur les faits permettront aux descendants des deux parties de mieux cerner l’enjeu de la paix réelle.
Cette gestion de la paix réelle consiste également à œuvrer à la reconnaissance définitive et permanente de ce fléau qu’a connu l’humanité.
Le pansement des blessures sera effectué par la vigilance, gardienne de la paix réelle qui devra veiller, traquer, dénoncer et punir toute volonté négationniste ou révisionniste de ce crime que constitue la traite des êtres humains. Ceci, afin que le bourreau ne puisse pas tuer une seconde fois par le silence.
Cette police du pansement des blessures s’appliquera à toute individu quel que soit son rang social .
Ainsi, face à James WASTON illustre prix Nobel en 1962 pour avoir découvert avec François CRICK la structure en double hélice de l’ADN, lorsqu’il affirme que « les Africains sont moins intelligents que les occidentaux », un simple sourire amusé ne doit pas suffire en pensant qu’il est peut-être devenu sénile avec l’âge. Car le tollé suscité par ses propos négationnistes n’ont pas été à la hauteur de sa provocation. Encore moins lorsqu’il ajouta à propos de l’égalité des humains « les gens qui ont des employés noirs découvrent que ce n’est pas vrai »Cf. Canard Enchaîné du mercredi 24 Octobre 2007.
5-Contre le droit au racisme.
Un homme politique suisse d’avant guerre, libéral et chrétien, défendant les bienfaits du colonialisme, professait dans l’approbation générale que « l’égalité entre Noirs et Blancs reviendrait à donner les mêmes droits aux chimpanzés et au directeur du cirque… » Cf. le journal de Genève (Suisse) LE TEMPS du vendredi 24 Mars 2000. Nul ne peut considérer ces propos comme une simple opinion. Car « une simple opinion n’existe pas. Elle est comme un oiseau en cage qui ne demande qu’à s’échapper pour rejoindre le grand air de la vie sociale », a commenté William OSSIPOW, professeur à l’Université de Genève pour qui « il n’existe pas de droit au racisme, même dans l’intimité »
Cet oiseau en cage est enfermé parfois en certaines personnes insoupçonnables.
Ainsi, lors des élections présidentielles aux Etats Unis, cherchant le soutien Du Sénateur Ted KENNEDY pour sa femme Hillary, Bill CLINTON lui aurait dit au téléphone : « Il y a quelques années, ce type (OBAMA) nous aurait servi notre café » Cf. Canard Enchaîné mercredi 20/01/2010.
De tels propos devraient êtres stigmatisés car leur gravité tient du fait qu’ils viennent d’un ancien président, considéré comme garant des valeurs morales de la société.
La psychologie de l’effacement est tout ce système de conscientisation et de vigilance qui doit consister à observer un rejet de toute banalisation du mépris de l’autre. Fonctionnant dans les deux sens, elle doit nous rappeler à tout moment que l’autre en face de nous est un être humain comme nous.
6-L’étude des pages de notre histoire.
Enseigner l’histoire dans les établissements scolaires participe de l’entretien de la mémoire collective. Mais faire abstraction d’une grande partie de cette histoire de l’humanité revient à l’occulter et en définitive à la tronquer. Et ce vide pourra être ressenti comme la deuxième tuerie du bourreau par le silence pour reprendre l’expression du prix Nobel E. Weisel.
Relire ensemble ces pages de l’histoire de l’humanité serait une sorte de réparation même si ces pages ne sont que trop sombres.
Alors, il faut étudier pour comprendre réellement ce qui s ‘était passé. Comprendre pour se rassurer sur pourquoi ce qui s’est passé à pu se produire. Se rassurer pour se former. Puis se former pour désormais regarder l’autre en face non plus avec des doutes,des accusations ou des sentiments de culpabilité mais avec la connaissance d’éléments pouvant permettre une réelle réparation.
Lorsque ce travail sur soi aura été fait notre nouvelle vision des choses de la vie nous permettra de décrypter les faits et les évènements dans un tout autre état d’esprit.
7-Le pardon
Le pardon étape ultime, est indispensable dans toute démarche de psychologie en rapport avec tout traumatisme surtout celui de la taille de la traite des esclaves dont les auteurs ont semblé forcer un peu sur la duré.
Il a fallu un travail de longues années par les descendants d’esclaves à travers leurs organisations avant que l’ONU ne se résolve à organiser la Conférence Mondiale de Durban en Août-Septembre 2001. A cette Conférence, il a été demandé le pardon qu’attendaient les victimes. Le pardon de celui qui le demande étant considéré comme une reconnaissance de sa faute. L’accord sur la réparation n’a pas encore abouti. Mais un grand pas avait été franchi.
Cette démarche mondiale permettra désormais d’avoir une approche des faits. Les Noirs américains qui auront entre les mains le dossier criminel sur l’utilisation de 400 Noirs comme cobayes pour étudier « La progression « naturelle » des maladies vénériennes en l’absence de soins » n’auraient plus la même réaction qu’avant le pardon. Cette étude eut lieu de 1932 à 1972. Il s’agissait de la syphilis et en l’absence de traitement à la pénicilline, la maladie a fait des ravages atteignant femmes et enfants. Aujourd’hui, la mortalité infantile est deux fois plus élevée dans la population noire que chez les Blancs. Les 8 survivants âgés de 87 à 109 ans se sont rendus à Washington pour la cérémonie des excuses présidentielles. Le président était Bill Clinton. Cf. Impact Médecin Hebdo N° 367 du 23/05/1997 à la page 21.
C’est en cela que nous disions plus haut que le peuple noir sud africain nous a gratifié d’une belle leçon d’humanité. Le pardon accordé à la minorité blanche encore vivante dans le présent des faits incriminés est une démonstration de haut niveau de la psychologie de l’effacement. Les larmes publiquement versées par les membres de la commission « Vérité et Réconciliation », le prix Nobel de la paix, Mgr Desmon TUTU en tête, a été une preuve de la douleur que l’on peut éprouver en acceptant réellement le pardon. Le peuple noir sud africain a offert à l’humanité toute entière, l’exemple individuel et collectif à la fois de l’effacement psychologique.
8-L’effacement.
Nous ne rangeons pas dans cette rubrique une invitation à faire le vide dans sa mémoire sur les atrocités qui ont été commises pendant des siècles et dont les survivances nous sont dévoilées de nos jours encore et chaque jour avec son lot. Car on ne peut pas demander aux victimes d’effacer de leur mémoire le traumatisme subi.
La traite des esclaves a été un gigantesque génocide où ont pris part individuellement ou collectivement, des gens de tous les milieux et de tous horizons.
Jean Paul II à Gorée en 1992 au nom de l’église catholique a pris sa part à l’effacement en déclarant : « Pendant toute une période de l’histoire du continent africain, des hommes, des femmes et des enfants noirs ont été (…) arrachés à leur terre, séparés de leurs proches, pour être vendus comme des marchandises.
Ces hommes, ces femmes et ces enfants ont été victimes d’un honteux commerce auquel ont prit part des personnes baptisées mais qui n’ont pas vécu leur foi. Comment oublier les énormes souffrances infligées, au mépris des droits humains les plus élémentaires, aux populations déportées du continent africain ?
L’effacement consiste donc pour la victime à recevoir, accepter et intégrer réellement le pardon qui lui est présenté, demandé. Ce qui revient à l’accorder.
En accordant le pardon à celui qui le demande, les deux parties se trouvent ainsi réunies dans une lévitation qui apporte la paix intérieure à chacun.
Ce qui doit se traduire par l’évacuation de tout complexe ; de supériorité pour le Blanc et d’infériorité pour le Noir.
En vivant ainsi au quotidien l’effacement devenu un état d’esprit, le jeune noir diplômé qui se verra refuser un poste auquel correspondent pourtant ses compétences n’en gardera point ni amertume ni déprime. Mais une force pour rebondir en ayant foi que Blancs et Noirs sont égaux non pas simplement sur les papiers mais aussi et surtout dans la réalité, y compris dans la réalité quotidienne. Et que cette vérité devrait être intégrée dans le mental de chacun. Donc ce jeune noir est en droit de penser que c’est le chef d’entreprise blanc qui vient de le recaler qui a un retard psychologique sur l’effacement.
En 2001 pendant mon séjour à Durban pour la Conférence mondiale de l’ONU contre le racisme, lorsque à Johannesburg un jour, j’ai pris mon ticket de bus pour aller à Maputo au Mozambique tôt le matin en même temps que des Noirs, j’ai été surprise de me voir toute seule monter et m’installer à une place de mon choix, les autres attendant encore dehors pour des raisons que je ne connaissais pas.
C’est longtemps après l’arrivée d’autres passagers blancs, qui eux sont montés immédiatement choisir leurs places avant que les Noirs ne montent s’installer que j’ai compris. J’ai compris que ces Noirs avaient un retard psychologique sur l’effacement.
Au cours de notre trajet de 400 Km environ, en conversant avec mon voisin de siège, il m’apprendra que le même phénomène s’observe parfois à l’Université. Certains étudiants noirs attendent que des étudiants blancs entrent en Amphi choisir leurs places avant d’occuper le reste des bancs. Cela se passait en 2001 alors que l’apartheid était aboli depuis 1990 et que Tabo M’BEKI avait succédé à Nelson MANDELA comme deuxième président noir de l’Afrique du Sud.
Nous devons admettre que la psychologie de l’effacement est un travail sur soi individuel et collectif, difficile, certes, mais nécessaire pour que s’instaure dans nos sociétés une paix intérieure pour chacun et une paix durable pour tous.
En conclusion,
Nous allons retenir les propos de Benjamin WALTER qui dans ses thèses sur le concept d’Histoire écrivait en 1940, soit quelques semaines avant sa mort ceci : « …La pire barbarie peut surgir de la plus haute culture. Du moins, si nous laissons aller l’histoire comme si elle ne dépendait pas de nous. »
La commémoration de l’abolition de la traite négrière qui a fait tant de victimes et qui a duré tant de siècles, participe à l’effacement. Par la commémoration, nous gardons notre attachement à l’histoire pour éviter qu ‘elle ne bégaye et manifestons de génération en génération notre refus de voir le phénomène se reproduire. C’est aussi une manière psychologique permanente de rappeler notre attachement aux valeurs universelles qui devraient régir l’existence de l’humanité.
L’efficacité de l’effacement dépend de la force de la volonté que nous mettrons à accorder le Pardon demandé pour le crime commis et surtout de l’effort que les uns et les autres feront pour sortir des survivances de ce crime contre l’humanité.
Pour finir, nous devons remercier les Associations et les Organisations qui au travers d’information, de commémoration et d’éducation, participent à la psychologique de l’effacement par leurs activités. Cet effort est également entrepris depuis une dizaine d’années par l’UNESCO où un vaste projet est en phase de réalisation. Ce projet intitulé « La Route de l’esclave » s’articule autour de trois grands axes : Vérité Historique, Mémoire et Dialogue interculturel.
Nous devons poursuivre sans relâche cet effort, afin que ceux qui ont déjà compris aident les autres à s’élever. Ainsi, ensemble, nous ne laisserons plus aller l’histoire comme si elle ne dépendait pas de nous …
Conférence présentée à Toulouse Mme Eugénie Dossa-Quenum
Le 26 Mai 2010 Conférencière
Bibliographie
1- les cahiers du patrimoine ; Conseil Général de Martinique Tome III
2- Les réalités économiques et sociales au Dahomey – PCD (Parti Communiste du Dahomey)
3- Femmes africaines, dernières esclaves du XX éme siècle ? Eugénie Dossa-Quenum
4- Mariane revue hebdomadaire N° 665 du 16 au 22 Janvier 2010-
5- Le Monde Diplomatique de Novembre 2001
6- Haïti, Peuple Héroïque et Martyr Gilbert Kouessi
7- Dalhousie University Revue universitaire de Publications Canada
8- Revue de publication de l’ Association Afrique-Antilles-Guyane de Tarn-et-Garonne.
9- La Route de l’Esclave ; La Mémoire Affranchie Sources Unesco N° 100 mars 1998
10- Changer International ; Lutter contre l’insécurité humaine N° 333 Sept-Oct.2008
11- Le Canard Enchaîné ; hebdomadaire satirique mercredi 24 octobre 2007
12- Le Temps quotidien de Genève. vendredi 24 mars 2000.
13- Impact Médecin Hebdo N° 367 de Mai 1997
14- Regards africains N° 43 printemps 1999- Hebdomadaire de Genève- Suisse.
15- Le code Noir ou le Calvaire de Canaan ; Louis Sala-Molins – PUF
16- Le Canard Enchaîné ; hebdo du mercredi 20/01/2010
17- La Traite des Noirs de l’Afrique à l’Amérique- Editions Lafontaine
18- Mariane revue hebdomadaire N° 680 du 30 Avril au 07 Mai 2010