Vous êtes ici : Accueil Dossiers et Lectures Note du rédacteur : Nous remercions notre frère Blaise Aplogan de nous avoir autorisé à reprendre ce document qu'il a publié sur son blog Babilown le 6 décembre 2010.
Visite des Trois Royaumes Visite au Roi Toffa
Tout Européen qui se respecte ne peut venir à Porto-Novo sans faire une visite à notre protégé 'Toffa. Lorsque je demandai a l'aimable secrétaire général M. Marchal s'il voyait quoique inconvénient a ce que je me conformasse à cette coutume, il voulut bien me répondre qu'il n'y voyait que des avantages. Toffa fut donc prévenu que je me présenterais au « château de Bécon, sa résidence, le lendemain matin, vers neuf heures. H ne faut pas, parait-il, retarder plus tard une visite ù Toffa si l'on veut être certain de le trouver a peu près à jeun. Le lendemain donc, accompagné du capitaine Lallouette en grande tenue, de mon neveu et de l’interprète du gouvernement, dès huit heures et demie je montai en hamac pour me rendre chez Toffa. J'avais mis, moi aussi, ma tenue de service, l'Etoile Noire au cou, et sur mon costume blanc mes insignes de députe. Le palais royal, qui ne ressemble en rien ni à Versailles ni à Fontainebleau, est situé en dehors de la ville de Porto-Novo, sur le bord de la lagune, à deux kilomètres environ du gouvernement.
Au milieu du vaste tata planté de palmiers, d'orangers et de flamboyants qui constitue le domaine privé de Toffa, s'élève un grand bâtiment à étage, construit à l'européenne, entouré d'un mur d'enceinte C’est là qu’habite Sa Majesté le Roi de Porto-Novo.
Un des laris (ministres) nous attend à la porte et nous Conduit directement auprès de son maître Au premier étage à l’extrémité d’une grande pièce décorée du nom de salle du trône, barrant en quelque sorte l'entrée de cette salle Toffa, fumant sa pipe, Toffa est installé sur un canapé de velours vert. Il est vêtu d'un pagne de soie bleu, coiffé d'un képi brodé sur lequel se lit "roi Toffa" a au cou des amulettes nombreuses et tient a la main une canne au pommeau doré. Ses fils et ses ministres sont assis par terre autour de lui.
Toffa est un homme d une cinquantaine d'années, à l’oeil vif et intelligent, à l'abord aimable et courtois. A mon arrivée, il se lève, vient au-devant de nous, très aimablement, nous souhaite la bienvenue et nous invite à nous asseoir. La conversation s'engage. Nous parlons de la France, dont il a toujours été l'allié fidèle, et qu'il voudrait bien connaitre; du gouverneur Liotard, qu'il a en grande vénération: de l'ancien gouverneur Ballot, aux côtés duquel il fit campagne contre Béhanzin. L'interprète Xavier Beraud traduit très exactement, et la conversation dure pendant quelques instants.
À un moment je raconte, incidemment, que l'un de mes collègues de la Chambre française a écrit récemment au Président de la République pour lui demander de gracier Béhanzin et de l'autoriser à revenir au Dahomey. Toffa saute sur son canapé et me fait dire, non plus par l'interprète, mais par mon neveu qui parle sa langue : « Il n'est pas possible que le grand chef des blancs fasse une chose pareille. Condo (c'est le nom de Béhanzin) est le plus mortel ennemi de la France ; il essaierait encore de "casser " le Dahomey. Son retour est impossible » Je rassure de mon mieux cet excellent Toffa qui, remis de l’émotion que je lui ai involontairement causée nous offre alors d’excellent champagne de la Veuve Clicquot. Il paraît que c’est la marque des grands jours. Nous buvons au Président de la République, au Gouverneur et à la France Au moment où le roi boit en s’abritant derrière son pagne. Ses fils et ses ministres, claquant des doigts se précipitent face contre terre.
Toffa fait apporter des cigares. On ouvre la boite ils ne lui plaisent pas il en jette par terre la moitié. Mais ils ne sont pas perdus pour tout le monde ; ministres et princes du sang se jettent à quatre pieds pour les ramasser. Il y a là un certain Azoumè, un noir superbe à la crinière artistement tressée, qui entend que rien ne se perde. C'est le Mollard de l'endroit. Avec lui, pas un cigare ne traine, pas une bouteille, pas un verre ne restent vides; il se charge de leur faire un sort. Toffa me propose de visiter sa salle de réception et sa garde-robe. Nous traversons un grand salon encombré de tous les bric-à-brac possibles et imaginables, ranges (') sur une table immense qui encombre l'appartement. Il y a là des pendules, des statuettes en marbre. et en plâtre, des boîtes à musique, des collections de pipes, etc.; autour de l'appartement, des meubles de salon, de salle à manger, voire même de chambre à coucher; accrochées aux murs, des gravures françaises, anglaises : le portrait de la reine d'Angleterre fait pendant à un tableau représentant Judith tuant Holopherne; un grenadier du premier Empire coudoie un échantillon du nu au dernier Salon. Cette salle est un vrai magasin d'accessoires de théâtre, une boutique de revendeur du quartier du Temple. Tout à côté se trouve la garde-robe royale. Il nous faut tout voir, tout admirer; on ne nous fait grâce ni du chapeau ni d'une paire de bottes Successivement passent devant nos yeux la série des chapeaux à claque garnis d’or et surmontés de plumes blanches, rouges, bleues, vertes et portant tous, sur le devant brodé en or " roi Toffa". Pour chacun des chapeaux, il y a un habit différent dont la couleur du fond, en velours, correspond à ta couleur de ta plume du chapeau. Ce sont de superbes redingotes brodées et doublées de soie comme on en portait à Versailles sous Louis XIV; les cothurnes, portant toujours l'inscription "roi Toffa" – afin que nul n'en ignore – sont en aussi grand nombre que les chapeaux et que les habits. Il se dégage de toute cette friperie une odeur de musc et de naphtaline qui vous prend à la gorge. Toffa est enchanté de nous montrer toutes ces richesses il essaie devant nous ses différentes coiffures et nous explique que chaque année, au 14 juillet, quand il se rend au gouvernement, il revêt successivement dans la journée tous ces costumes, et que son peuple est heureux de le voir aussi bien habillé. Après l'empereur Guillaume d'Allemagne, c'est certainement le monarque le mieux nippé du monde entier. La visite intérieure terminée, Toffa descend avec nous dans la cour du tata nous fait admirer la salle d'audience où il rend la justice, la belle ligne de cases qui abritent ses nombreuses femmes, puis nous reconduit jusqu'à la porte de son domaine et, très galamment, nous dit au revoir en nous souhaitant toutes sortes de choses heureuses pendant notre séjour dans son royaume.
Dès le lendemain de notre visite, un « lari "(ministre) de Toffa, porteur de la canne royale un joli jonc à pomme d'or enfermé dans un écrin en peau de daim venait, suivant l’étiquette rendre, au gouvernement, la visite que j'avais fuite à son maître, m’apportant ses compliments et me souhaitant bon voyage et prompt retour.
Toffa, on le voit, n'est pas un roitelet ordinaire. Sur la côte de Guinée, c'est quelqu'un ; il sait dépenser généreusement tous ses revenus, (qui sont considérables, et, malgré son amour quelquefois immodéré pour l'absinthe ou pour le Champagne, il a su conserver sur ses sujets une certaine autorité qui n'est point inutile au bon fonctionnement du régime de protectorat que nous avons institué au Dahomey.
Visite du Roi Gigla d’Allada Le roi Gigla, lui, est venu en hamac; c'est un noir d'une cinquantaine d'années, au regard ouvert et intelligent; il est vêtu d'un pagne de soie à rayures multicolores, coiffé d'un képi cylindrique brodé d'or, fume sa longue pipe et tient à la main sa canne à pomme d'ivoire. Derrière Gigla, deux noirs solennels, l'un le porte-parasol, l'autre le porte-crachoir, suivent leur maître à deux pas; puis ce sont les ministres, et l'orchestre royal composé de tambourins, de cymbales et de cornes d'ivoire, et derrière cet état-major deux ou trois cents personnes qui crient hurlent, tirent des coups de fusil, font un tapage infernal qui va durer jusqu'à l'arrivée a Alladah. Je prends la tête du cortège. Mes hamacaires, surexcités par les cris, le bruit du tam-tam et l'odeur de la poudre, marchent à une allure extraordinaire ; en vingt-deux minutes, les quatre derniers kilomètres sont franchis; c'est à grand’ peine si je puis arriver à les retenir pour faire mon entrée à Alladah en même temps que l'administrateur et le roi. Les indigènes, hommes, femmes et enfants, accourent pour voir passer le cortège. On a déployé le grand parasol royal à fond blanc, brodé de chimères noires et rouges; l'orchestre redouble, les cornes font entendre de véritables rugissements, le canon tonne, les coups de fusil éclatent de toutes parts, et nous nous trouvons transportés devant la résidence française sans avoir eu même le temps de nous rendre compte de ce que peut être la capitale du royaume d'Alladah. Ce sera pour plus tard.
Après force compliments et plusieurs verres d'absinthe, Gigla se retire et, toujours suivi de son cortège, reprend la route de son palais. Le canon continue à tonner sur son passage; le roi s'éloigne, le bruit du tam-tam et le son des cornes se perdent dans la nuit. (…)
Le lendemain de notre arrivée, nous nous transportons chez le roi Gigla pour le remercier de l'accueil qu'il nous a fait la veille. Le roi d'Alladah habite à environ deux kilomètres de la résidence française. On a aménagé pour nous le nombre de voitures nécessaire, et, dès huit heures, six pousse-pousse trainés chacun par trois noirs sont à notre disposition. La route plutôt le sentier qui mène au palais royal est très mal entretenue et très accidentée; nous avançons lentement, les voitures en file indienne, évitant autant que possible les ornières et les ravins. On voit que Gigla n'use pas de ce moyen de locomotion ; que le résident fasse cadeau d'une voiture à Gigla et sûrement le chemin sera immédiatement améliore. Tout à coup, le canon se fait entendre, nos porteurs prennent le trot, et nous débouchons sur une large esplanade qui s’étend devant le palais. Les musiciens ordinaires de Sa Majesté, groupés sous un arbre devant la porte d'entrée, exécutent tes morceaux (toujours les mêmes) de leur répertoire peu varié. Gigla, sur le seuil de la porte du mur d'enceinte, entouré de ses ministres, nous attend. Nous montons avec lui dans ses appartements, installés au premier étage d'une maison bâtie à l'européenne. On s'assied, on cause et l'on boit l'absinthe (à huit heures et demie du matin!). La pièce dans laquelle on nous reçoit est très simple, mais très proprement installée. Ce n'est plus le capharnaüm de Toffa, mais un bon intérieur bourgeois : pendules, horloges et boîtes à musique s'étalent tout autour de l'appartement. La conversation porte sur le chemin de fer qui maintenant passe tous les jours à Alladah; grâce à lui, le commerce de la région va aller en se développant, et Gigla est très fier d'avoir contribué pour une large part à la construction de la voie ferrée. It a pour le commandant Guyon, directeur du chemin de fer, une admiration profonde et est enchanté d'avoir pu, à un moment donné, mettre à sa disposition plus de quatre mille travailleurs. Il me dit, à plusieurs reprises, son dévouement à la France et son désir d'être toujours agréable au gouverneur. Au moment où je vais partir, Gigla fait amener une chèvre, qu'il me prie d'accepter. Je le remercie et lui annonce l'envoi d'un tapis et d'un pavillon national qu'il pourra arborer sur son palais le jour du 14 juillet. Nous prenons congé. Gigla et ses ministres viennent nous reconduire jusqu'aux voitures ; le tam-tam recommence, et nous rentrons à Alladah à grande allure, au risque de nous rompre le cou. Nous employons les quelques heures qui nous restent à visiter la capitale, qui n'est qu'un grand village très étendu mais fort bien percé. Les rues n'ont pas moins de huit mètres de large et sont bordées de fossés profonds. Depuis que la gare a été construite, on a percé deux grandes voies, allant l'une de la résidence à la gare, l'autre de la gare au village. Une grande cour s'étend en avant de la résidence à côté sont installées les paillottes du marche. Tout cela a fort bon air, et ces travaux ont été exécutés avec beaucoup d'intelligence et beaucoup de goût.