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Honorable Valentin DJENONTIN-AGOSSOU, DEPUTE A L’ASSEMBLEE NATIONALE, BP 384, CALAVI, TEL : 97690041

 

RECOURS EN INCONSTITUTIONNALITE CONTRE L’ARTICLE 50 DU STATUT GENERAL DE LA FONCTION PUBLIQUE

 Calavi, le 12 janvier 2018

 A

Monsieur le Président de la Cour

Constitutionnelle

COTONOU

 


I- LES FAITS

Le Garde des Sceaux a introduit en Conseil des Ministres, suite à un appel à candidature et aux travaux d’une commission conformément au décret n°2015-180 du 13 avril 2015 portant modalités de nomination des greffiers en chef et de leurs assistants en République du Bénin, le dossier de nomination des greffiers en chef et des assistants de greffiers en chef dans nos Cours et tribunaux.

Le décret suscité a indiqué que lesdites nominations doivent se faire par décret pris en Conseil des Ministres. A cet effet, le décret n°2017-388 du 04 août 2017 contenant une partie des nominations au profit des juridictions a été pris. Ce décret comporte plusieurs irrégularités et illégalités à savoir, la nomination de personnes à des postes et juridictions où elles n’ont pas été candidates, les nominations de personnes plus jeunes pour diriger leurs aînés, la nomination de dame GUINLEY Ahanou Ahouéfa Gladis comme greffier en chef du tribunal de première instance de deuxième classe d’Allada en violation flagrante de la condition basique et substantielle de cinq années (05) de pratique professionnelle continue alors que, l’intéressée comme ses autres collègues de promotion dont les dossiers ont été tous rejetés n’a prêté serment que le 26 novembre 2016, date à partir de laquelle se fera théoriquement la computation des 05 années de pratique professionnelle requises .Suite à la prestation du serment, son premier poste était une direction du ministère de la Justice, structure où elle officiait jusqu’à sa nomination. Ce décret a été suivi de l’arrêté n°074/MJL/DC/SGM/DAF/DSJ/SA/049SGG17 du 11 septembre 2017 par lequel, le Garde des Sceaux s’est non seulement arrogé le pouvoir de nomination revenant au Conseil des Ministres mais a nommé au mépris également de certaines conditions de fond fixées par la réglementation comme l’a d’ailleurs fait le décret. L’arrêté comporte, en plus des vices suscités, la nomination de personnes n’ayant jamais candidaté. D’autres arrêtés ont été aussi pris toujours en baignant dans les mêmes violations des normes et principes en vigueur. Après plusieurs tentatives infructueuses de règlement de la situation par le SG du SYNTRAJAB rejoint ensuite par ses homologues de l’UNOGEC et du SYNAGOJUB, le Ministre de la justice a été dénoncé par tous ces syndicats. Cette situation non réglée a conduit lesdits syndicats à faire remettre en surface les problèmes latents de carrière, de droits acquis et d’avantages sociaux les concernant. Face à l’obstination patente et à d’autres comportements du Ministre qui constituent à leurs yeux une menace évidente pour la défense de leurs droits et l’indépendance du pouvoir judiciaire, les trois (03) autres syndicats du secteur que sont le SYNTRA-JUSTICE, le SYNAPE-JUSTICE et l’UNP-JUSTICE se sont joints à ceux des greffiers et officiers de justice pour déposer une motion de grève d’avertissement de 48 h le 20 octobre 2017. Le 02 novembre 2017, après avoir été reçus par le chef de l’Etat qui s’est engagé à régler les problèmes posés, les syndicats en toute responsabilité et sans qu’une demande n’a été formulée dans ce sens, ont accordé à l’administration un moratoire jusqu’au 31 décembre 2017,montrant ainsi leur sens de responsabilité et de retenue en matière de négociation et de lutte syndicale.

Ils en étaient là quand le 28 décembre 2017, alors que l’administration n’a pas daigné les appeler pour évaluer et les informer du niveau d’évolution de leurs revendications qui sont restées pour la quasi totalité non résolues, les députés du Bloc de la Majorité Présidentielle (BMP) ont fait adopter la loi portant statut général de la fonction publique en y insérant un alinéa en l’un de ses articles pour interdire le droit de grève aux fonctionnaires des secteurs de la justice et de la santé.

 


II- LES MOYENS

 La présente discussion sera articulée autour de quatre (04) moyens.

 A-DU LIEN ENTRE LE DROIT DE GREVE ET L’HISTOIRE DE NOTRE PAYS

Considérant qu’en démocratie, la liberté d’expression est la première et celle dont dépendent toutes les autres libertés ;

Considérant que le droit de grève est à la fois un droit et une des modalités d’expression des travailleurs qu’ils soient du secteur public ou privé, de sorte qu’en interdisant le droit de grève successivement aux travailleurs des divers secteurs de la fonction publique et sans limitation, le législateur en complicité avec le pouvoir exécutif posent insidieusement les jalons d’un recul démocratique pouvant conduire à revivre la douloureuse expérience des 17 ans de dictatures ayant arriéré notre pays ;

Considérant que l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit au Bénin est indissociable des grèves et luttes de travailleurs ;

Considérant qu’en raison des liens ténus entre la qualité de la gouvernance politique et la jouissance effective de leurs droits de travailleurs, les fonctionnaires béninois ont été amenés d’hier à aujourd’hui, à exercer leur droit de grève pour exiger entre autres le respect de la légalité, des libertés publiques et par ricochet l’Etat de droit et la démocratie, toutes choses ayant permis d’assurer le maintien du temple démocratique national surtout dans les moments où il existe une connivence suicidaire entre les pouvoirs exécutif et législatif comme c’est le cas actuellement ou des manœuvres de l’exécutif visent à empêcher l’existence et l’expression d’une véritable opposition politique ;

Que dans ces conditions, c’est à tort que certains pensent que les grèves sont plus nuisibles que salvatrices pour notre pays car elles ont été dans bien de cas la condition même de l’existence des fondements de notre démocratie ;

Que le constituant ayant compris la valeur fondamentale des libertés publiques dont le droit de grève est une composante, en a au contraire fait une condition du développement lorsqu’il a affirmé dans le préambule : « Affirmons solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle, que spirituelle .» ;

 

B-DU CAVALIER LEGISLATIF

 Considérant que les députés à la séance plénière du 28 décembre 2017, lors de l’intégration des dispositions de la loi n°2017-03 du 17 mars 2017 portant régime général d’emploi des collaborateurs externes de l’Etat au statut général des agents de l’Etat, ont modifié l’article 50 du dudit statut pour retirer le droit de grève aux fonctionnaires des ministères en charge de la justice et de la santé ;

Considérant que l’article 1er du statut général des agents de l’Etat a pourtant exclu de son champ d’application les magistrats et greffiers régis par des statuts spéciaux ;

Qu’en matière de législation, une loi ne saurait à la fois régir des personnels exclus de sont champ d’application ;

Qu’il s’agit par conséquent d’un cavalier législatif que le juge constitutionnel béninois doit censurer à l’instar de son homologue français;

C-DE L’ENCADREMENT SUFFISANT DU DROIT DE GREVE PAR LA LOI N°2001-09 DU 21 JUIN 2002 PORTANT EXERCICE DU DROIT DE GREVE EN REPUBLIQUE DU BENIN

Considérant que la loi portant l’exercice du droit de grève en République du Bénin a déjà encadré le droit de grève en définissant les secteurs essentiels nécessitant un service minimum ainsi que les conditions du recours à la réquisition par l’administration pour concilier le droit de grève des travailleurs avec les droits des usagers des services publics ;

Considérant que les dix (10) points ci-dessous tirés de la loi suscitée indiquent les étapes pour déclencher une grève et les conditions d’exercice de la grève ainsi que les sanctions en cas violation de certaines règles :

1- Négociation préalable obligatoire en cas de litige de travail

2- En cas d’échec des négociations, préavis de grève qui doit renseigner complètement sur les motifs, la durée et l’étendue de la grève

- Le temps de préavis est 72 h normalement et 24 h en cas d’acte grave portant atteinte à un droit du travailleur

3- Poursuite des négociations même en cas de grève

4- La grève de solidarité n’est admise que lorsqu’elle soutient une grève elle-même légale

5- L’arbitrage du Conseil National de la Fonction Publique ou d’un médiateur est obligatoire pour concilier les parties

6- Le service minimum est obligatoire à l’occasion des grèves dans les services essentiels ou stratégiques

7- Recours à la réquisition en cas de non organisation du service minimum dans les services essentiels et ce, la proportion de 20% de l’effectif
8- Sanction du 1er degré en cas de refus de la réquisition

9- Sanction disciplinaire de 2nd degré en cas de menace et voie de fait contre les agents non grévistes

10-Réduction proportionnelle du traitement des grévistes sauf si la grève a duré moins d’une journée ou lorsqu’elle a pour motifs la violation des libertés fondamentales et des droits syndicaux universellement reconnus ou le non-paiement des droits acquis ; Considérant qu’il résulte de ces dix points que le droit de grève est

suffisamment réglementé au Bénin et qu’il suffira aux parties prenantes notamment l’administration de respecter la loi pour éviter les conséquences néfastes des grèves illicites ou parfois abusives ;

 D-DE L’INCOMPETENCE DU LEGISLATEUR ORDINAIRE BENINOIS A DEFINIR LES BENEFICIAIRES DU DROIT DE GREVE AU REGARD DE L’ARTICLE 31 DE LA CONSTITUTION

Considérant que l’article 31 de la constitution dispose : « l’Etat reconnaît et garantit le droit de grève. Tout travailleur peut défendre, dans les conditions prévues par la loi, ses droits et ses intérêts soit individuellement, soit collectivement ou par l’action syndicale. Le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi » ;

Qu’il en résulte que le droit de grève au Bénin a un caractère constitutionnel et se décline en droit de jouissance et en droit d’exercice ;

Qu’au regard de l’article 31, la réglementation du droit de jouissance ou l’aptitude à être titulaire du droit de grève relève du pouvoir du constituant qui est le seul habilité par la constitution à déterminer qui en sont bénéficiaires ou non tandis que le droit d’exercice ou conditions d’exercice sont du domaine du pouvoir législatif ;

Qu’en raison du caractère constitutionnel du droit de grève, le législateur ordinaire ne peut donc prévoir sa suppression pour aucune catégorie de salariés, du secteur privé comme du secteur public, car le caractère constitutionnel de ce droit est affirmé sans restrictions quant aux bénéficiaires ;

Que c’est dans ce sens qu’est allée la jurisprudence DCC 06-034 du 04 avril 2006 qui est la meilleure interprétation de l’article 31 de notre constitution parce que combinant à la fois la lettre et l’esprit de la constitution ainsi que l’histoire et le contexte qui l’ont généré ;

Considérant que la spécificité au Bénin de cette disposition constitutionnelle qu’on ne peut interpréter sans recourir à l’histoire politique de notre pays, recommande que les règles jurisprudentielles résultant de l’application de constitutions d’autres pays en matière de droit de grève ainsi que les commentaires doctrinaux y relatifs, soient maniés avec une particulière précaution ;

Considérant que sur le fondement de l’article 31 suscité et de plusieurs autres articles de la constitution consacrant des droits au profit des citoyens , peuvent être apportées au droit de grève les limitations nécessaires en vue d’assurer la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens ;

Que même dans l’encadrement des conditions d’exercice du droit de grève par le législatif, la Cour constitutionnelle doit veiller à ce que le législateur ne « relativise » pas trop l’exercice du droit de grève ou qu’il ne « l’absolutise pas trop », voire ne vide le droit de grève de sa substance ;

Considérant que la constitution en disposant : « le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi » a entendu marquer que le droit de grève est un principe constitutionnel, mais qu’il a des limites uniquement en ce qui concerne son exercice et a habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général et des besoins essentiels du pays auxquels la grève peut être de nature à porter atteinte ;

Considérant que lorsque deux droits ou libertés sont en conflit dans un régime libéral comme le nôtre, il faut trouver un point d’équilibre et éviter que l’un soit le tombeau de l’autre comme l’a fait la Cour constitutionnelle par la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011 ;

Considérant ensuite que la Cour constitutionnelle doit être conduite en l’espèce à opérer une conciliation entre le principe constitutionnel du droit de grève consacré par l’article 31 de la constitution et celui à valeur constitutionnelle de la continuité du service public qui est une construction jurisprudentielle ;

Que tout d’abord, l’extension progressive et insidieuse des secteurs où le législateur impose abusivement l’obligation d’assurer un service normal, revient à supprimer le droit de grève et à vider l’article 31 de sa substance ;

Que ceci n’est pas admissible même si la justification en est le principe de continuité du service public, car ce principe qui n’a que de valeur constitutionnelle ne peut l’emporter sur le droit de grève, qui est, lui, un principe constitutionnel ;

Qu’il appartient d’une part au législateur de réglementer le droit de grève, mais aussi d’autre part à la haute Juridiction de donner une interprétation officielle, juste et convenable du droit de grève et de ses limites en ce qui concerne son exercice ;

Que l’obligation d’assurer un service normal dans les quatre (04) secteurs (justice, santé, enseignement, économie et finances) où se font habituellement les grèves et la veille citoyenne par l’action syndicale aboutirait indirectement à supprimer l’exercice du droit de grève dans tout le pays et à le transformer en un Etat policier ;

Considérant enfin que le juge constitutionnel usant de son pouvoir concentré d’interprétation de la loi fondamentale, doit fixer les marges constitutionnelles de l’étendue du pouvoir que le législateur tient de l’article 31 de la constitution du 11 décembre 1990 car derrière la séparation formelle des pouvoirs exécutif et législatif se cachent souvent leur confusion, leur compromission et connivence fonctionnelles qui sont fatales aux libertés et à la viabilité de notre démocratie ;

Qu’il revient en l’espèce au juge constitutionnel d’opérer un contrôle de constitutionnalité et un contrôle de proportionnalité de la mesure d’interdiction votée par les députés du BMP par rapport au but visé ;

 


PAR CES MOTIFS,

Constater que l’article 50 mérite d’être censuré par la haute Juridiction en ce qu’il constitue un cavalier législatif et une disposition disproportionnée par rapport au but visé ;

Déclarer l’article incriminé contraire à la constitution du 11 décembre 1990 ;

Ordonner la promulgation de la loi amputée dudit article incriminé.

 

Je vous prie d’agréer Monsieur le Président, mes salutations distinguées.

 Valentin DJENONTIN- AGOSSOU

 

Note : Cliquer ici pour télécharger l'intégralité du recours de M. DjENONTIN

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