Cotonou, le 08 Décembre 2017
Le Premier Secrétaire
LETTRE OUVERTE
A
Madame Christine Lagarde
Directrice Générale du Fonds Monétaire International
(A l’occasion de sa visite au Bénin).
Madame la Directrice,
Il est des occasions rares que celle qui se présente à notre peuple par votre visite en ce moment en terre béninoise, une petite portion de la planète.
Certes nous savons que de tels déplacements rentrent dans les missions traditionnelles assignées à l‘institution mondiale, le Fonds Monétaire Internationale dont vous avez la charge. Faut-il rappeler ces missions ? Ce sont :
1°- Veiller à la stabilité du système monétaire international ;
2°- Surveiller les Etats dans leur politique économique afin de prévenir les crises du système monétaire international, et faciliter l’expansion et la croissance équilibrées du commerce mondial ;
3°- Promouvoir la stabilité des changes ;
4°- Aider à établir un système multilatéral de paiements ;
5°- Mettre les ressources (moyennant des garanties adéquates) à la disposition des pays confrontés à des difficultés de balance de paiements.
Nous savons que, dans l’accomplissement de cette mission depuis sa création en 1944, beaucoup de choses (et non les plus reluisantes et éthiques) à l’encontre des peuples notamment des pays pauvres, ont été mises au compte de votre Institution. Au point d’incarner pour ces peuples le Mal Absolu, l’Huissier Recouvreur des Créances des pays et groupes financiers internationaux semant des désastres humains à travers le monde. Mais depuis les Confessions de votre illustre prédécesseur, Michel Camdessus, nous espérons pouvoir attendre du mieux du Fonds Monétaire international.
Notre adresse portera sur deux grands points.
Le premier concerne la monnaie Franc des Colonies Françaises (CFA).
Madame la Directrice Générale,
Dans vos multiples fonctions ministérielles en France et depuis 2011 à la tête du FMI, vous ne pourriez ignorer les graves préjudices causés et le grand obstacle au développement que constitue cette monnaie et cette zone monétaire pour les pays qui en sont membres. Au nom de quelle logique économique des Etats peuvent-ils être privés de la fonction régalienne de battre leur monnaie sur leur propre sol et de la faire loger auprès du Trésor d’un autre pays avec l’obligation de ne pouvoir en conserver que la moitié pour usage ? Au nom de quelle rationalité des pays travaillent et d’autres gardent le produit de leur travail sous le prétexte que les premiers sont incapables de garder l’argent de leur travail ?
Le FMI peut-il ignorer que le CFA épouse les contours de la violence esclavagiste, coloniale et néocoloniale ?, qu’il est le succédané de la Banque du Sénégal créée en 1855 grâce aux ressources versées par la métropole française aux esclavagistes et en guise de réparation par suite de la suppression de l’esclavage en 1848 ; que cette Banque du Sénégal deviendra au début du 20ème siècle Banque de l’Afrique occidentale qui émettra plus tard le franc CFA ? Enfin, madame la Directrice Générale, comment peut-on occulter le fait que les arrangements institutionnels organisant le fonctionnement de la zone franc constituent le véhicule de l’accumulation de richesse hors du continent africain ? N’est-il pas clair que les règles de la fixité de la parité entre le CFA et l’euro, la totale garantie de convertibilité entre les deux monnaies et la liberté totale de circulation des capitaux entre les deux zones (franc et euro) autorisent en toute légalité le siphonage des ressources vers des cieux autres qu’africain, obligeant les forces productives de la zone à devoir recommencer, chaque année le processus d’accumulation du capital ?
Le Bénin plus que tous, est l’un des pays qui souffrent le plus des effets mortifères du CFA et de sa valeur surfaite. La dernière dévaluation de 30% du naira au Nigeria, pays avec lequel l’économie béninoise est intégrée, a eu des effets catastrophiques dans notre pays. Elle a détruit les embryons d’entreprises tant structurelles qu’informelles béninoises, aggravé le chômage et ouvert la voie du départ des jeunes vers le désert libyen et la méditerranée pour être vendus en esclavage ou mourir en mer.
Malheureusement le FMI dans sa mission de contrôle de stabilisation du système monétaire international, n’a pas accouru pour des mesures d’accompagnement.
C’est dire que la question du CFA revêt désormais pour nous, en tous cas au Bénin, un caractère urgent, vital, un caractère de nécessité immédiate pour l’amorce de l’émergence du Bénin.
Madame la Directrice Générale du FMI,
Le deuxième point de notre adresse est celui des rapports de votre Institution avec le Bénin et sa gouvernance depuis avril 2016.
Dans le dernier Rapport du FMI, il est dit « qu’en dépit des perspectives économiques favorables, la mission et les autorités conviennent que des défis restent à relever notamment la priorisation des dépenses publiques favorisant une croissance inclusive et une réduction de la pauvreté, l’accélération des réformes des administrations de l’impôt et des douanes pour mobiliser davantage de ressources intérieures… La mission encourage les autorités à continuer d’affecter davantage de ressources aux programmes sociaux prioritaires afin de protéger les couches les plus vulnérables de la population. Le FMI continuera à soutenir le programme de réforme des autorités et à cet égard, la mission a abouti à un accord sur les principaux objectifs du programme économique pour 2018 » (Rapport de mission septembre 2017)
Votre Institution a dernièrement octroyé 13 milliards de CFA au titre d’un accord de facilité élargie de crédit.
Madame la Directrice Générale du Fonds Monétaire International.
Nous pouvons affirmer qu’en dépit des observations ci-dessus de votre Institution, la politique économique développée depuis quelque temps par le gouvernement ne va pas dans le sens d’une croissance inclusive et surtout dans le sens de la politique de Réduction de la pauvreté désormais paradigme du FMI.
Et ce pour les raisons suivantes :
1°- Une gestion chaotique des finances publiques et une politique budgétaire erratique.
L’on ne peut dire à ce moment quel est le budget qui a été exécuté cette année au Bénin. Est-ce celui adopté par le parlement et qui s’élève à 2010 milliards de CFA. Si oui pour quoi le budget 2018 prévoit un niveau inférieur à celui de 2017 (soit 1600 milliards ???) alors qu’il est reconnu que la situation est plus favorable en 2018 du fait de la remontée de la situation économique au Nigeria ? Si le budget de 2017 devrait être revu à la baisse en cours d’exercice pourquoi n’a-t-on pas fait recours à la représentation nationale pour un collectif budgétaire ?
2°- Le budget 2018 a multiplié les taxes au détriment des petites gens et petits producteurs et a procédé une défiscalisation pour les gros.
3°- Que ce soit dans les programmes sociaux tels que l’enseignement, la santé notamment, le gouvernement a procédé à une réduction drastique des ressources affectées aux programmes sociaux.
4°- Avec des opérations de déguerpissements massifs en début d’année 2017, nous avons assisté à la destruction massive des conditions de travail des petites gens ; avec la destruction massive et accélérée des emplois par les privatisations sauvages et les licenciements, nous avons atteint dans notre pays un niveau d’aggravation généralisée du chômage et de la pauvreté jamais égalé depuis les années 1989 au Bénin.
C’est dire que la recommandation de la mission du FMI qui dit « La mission encourage les autorités à continuer d’affecter davantage de ressources aux programmes sociaux prioritaires afin de protéger les couches les plus vulnérables de la population » est niée et au contraire complètement rejetée par la politique économique actuelle.
Madame la Directrice Générale du Fonds Monétaire international,
Telle est la politique en œuvre au Bénin depuis avril 2016. Il est donc incompréhensible que Le FMI « soutienne le programme de réforme des autorités » aboutisse « à un accord sur les principaux objectifs du programme économique pour 2018 »
Si en dépit de tout cela, le FMI s’obstine à soutenir la politique assassine et anti-développement du gouvernement actuel de notre pays, le peuple béninois comprendra que l’Institution dont vous avez la Charge est opposée aux intérêts des peuples et prendra ses dispositions de survie par toutes voies possibles.
Tout en vous souhaitant bon séjour sur la terre de nos aïeux, la terre de Béhanzin, de Bio Guèra, de Kaba, je vous prie de recevoir, Madame la Directrice Générale, l’expression des hommages les plus distingués.
Philippe NOUDJENOUME
Premier Secrétaire du Parti Communiste du Bénin
Président de la Convention Patriotique des Forces de gauche.
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