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LE RAVIP : LES LIMITES D’UNE MASCARADE
(Une contribution d'Olivier FADO DOSSOU, analyste politique)
Consacré par la loi N°2017-08 du 19 Juin 2017, le RAVIP est le Recensement Initial Administratif à Vocation d’Identification de la Population béninoise. C’est une opération qui vise à octroyer à chaque citoyen, un Numéro Personnel d’Identification (NPI). Ce NPI est un numéro individuel, incessible et permanent (et vital, de la naissance jusqu’au décès !) qui doit être, dès octroi, utilisé essentiellement à titre personnel dans la réalisation de tout type d’actes à savoir : les actes civils, administratifs, sociaux ainsi que dans les transactions économiques et financières. Le RAVIP va démarrer le 1 er novembre 2017, il est prévu pour durer 6 mois. Probablement qu’il durera plus de 6 mois ! Le contexte, l’opportunité et les conditions de réalisation en font déjà une véritable mascarade.
I. CONTEXTE
En 2016, les Béninois ont « porté » Patrice Talon à la tête du pays. Depuis son prise de pouvoir, la gouvernance de Talon tient lieu de deux tendances lourdes très préjudiciables pour le pays et ses habitants : la privatisation violente et brutale de l’économie béninoise et l’accaparement à des fins privées (clan Talon et compagnies) des biens publics ainsi « vendus ». Un acte de parjure sans précédent ! Paradoxalement à cette dictature de l’argent, les Béninois connaissent une accélération de la dégradation de leurs conditions sociales de vie depuis 18 mois maintenant. Une situation qui ne préoccupe pas le Chef de l’Etat qui déclarait voilà quelques mois au peuple béninois de « patienter encore deux ans », à défaut de « serrer la ceinture » quand son ministre des finances, Romuald Wadagni se réjouissait à Paris « …qu’au Bénin, on peut licencier plus facilement » (sic) !
II. L’OPPORTUNITE
Fort de ce contexte intérieur et des tendances lourdes ci haut, le RAVIP dans sa configuration actuelle, n’est pas la priorité actuelle des Béninois. Le RAVIP n’est en rien opportun et n’améliorera pas leurs conditions de vie et de travail. C’est un marché de dupes organisé sur fonds de commissions occultes et opaques sans appel d’offres.
III. LES CONDITIONS DE REALISATION
1. Absence d’appel d’offres et conséquences.
Le marché du RAVIP fut confié à la multinationale Safran en avril 2016 lors de la visite de Patrice Talon en France. Durant cette visite, il a échangé avec les responsables de Safran et le marché leur a été donné sur la base d’un gré à gré. Ce qui est une violation du code des marchés publics en République du Bénin. Or une bonne gouvernance est qu’il aurait fallu d’abord réaliser un véritable audit du Recensement National Approfondi et de la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI).
Fort des insuffisances graves liées à l’absence de commande publique, à l’imprécision des caractéristiques du travail à réaliser, à la durée d’exécution qui pourrait se révéler beaucoup plus longue que prévue par exemple, qui affectent le contenu de l’accord opaque, le coût de la réalisation des travaux deviendrait de ce fait, très aléatoire et le risque de conclusion d’avenants répétés au contrat deviendrait évident et prohibitif pour les finances publiques béninoises. Le RAVIP s’apparenterait à un véritable gouffre financier qui ne dit pas son nom. Il est fait état à ce jour de ce que Safran aurait reçu déjà 12 milliards de FCFA comme acompte.
2. La réputation sulfureuse de SAFRAN
Le groupe SAFRAN fut constitué le 11 mai 2005 suite à la fusion de deux entreprises françaises : Snecma et Sagem en 2005. Safran exerce dans 5 secteurs importants : la propulsion aéronautique et spatiale, les équipements aéronautiques, la défense, la sécurité et enfin la holding et autres. En 2016, il a réalisé un chiffre d’affaires de plus 15 milliards d’euros . C’est en 1993 avec le rachat par Sagem de Morpho, une structure américaine impliquée dans l’identification électronique et la fabrication de cartes d’identités que Safran va se lancer dans le « marché électoral ». Toutefois, elle traine une sulfureuse réputation.
-Côte d’Ivoire. En 2007, le gouvernement ivoirien sous la présidence de Laurent Gbagbo accorde à Safran, le marché de la biométrie dans le cadre des présidentielles ivoiriennes pour un montant de 68 milliards de FCFA en gré à gré. Finalement, le processus traine en longueur et le montant est réévalué à 160 milliards de FCFA ! Soit l’élection le plus cher de l’histoire ! A la fin, le scrutin est marqué de violences avec de nombreux manquements et d’électeurs fictifs introduits dans le fichier électoral par Safran avec la complicité de la Commission électorale Ivoirienne. Une guerre et des milliers de morts ! En 2015, bis repetita ! Safran obtient encore le même marché qui se solde par un score soviétique d’Allassane Ouattara. Montant de la transaction : 25 milliards !
-Kenya. En 2017, Safran est mis en cause pour des actes de corruption, de trafic de résultats, de transmission de fausses données et de manipulations des chiffres. M. Laurent Lambert, le Chef de Projet de Safran-Kenya et son adjoint Axel Gaucher sont mis en cause et des poursuites sont engagées contre eux. « Nous avons demandé à nos avocats d’explorer toutes les possibilités légales dans cette affaire, y compris un dépôt de plainte en France » affirmé Dennis Onyango, porte-parole de Raila Odinga, le leader du parti NASA, le principal parti d’opposition au Kenya. Une lettre est adressée par le député de l’opposition Musalia Mudavadi aux autorités publiques françaises pour récuser et dénoncer la multinationale française Safran dans les fraudes électorales. Enfin, la Cour Suprême du pays décida d’annuler l’élection et ordonna sa reprise.
-Nigeria. En 2012, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné le groupe Safran à 500.000 euros d'amende pour "corruption active" d'agents nigérians entre 2000 et 2003 pour un contrat pour la fabrication de 70 millions de cartes d'identité. Le marché en question concernait un montant de 171 millions d’euros. « Sagem n'avait pas besoin de graisser la patte de qui que ce soit mais, malheureusement, vous l'avez fait » dira le Président Olusegun Obasanjo, le Chef de l’Etat nigérian. Au Niger (2010), Mali (2010), Guinée (2009/2010), autant de scandales dans la confection de fichiers électoraux.
3. Conduite autocratique et cavalière du processus
Il est un fait établi depuis la mise en exécution du RAVIP, c’est que le processus est conduit de façon opaque et autoritaire par le gouvernement de Talon. Société civile à la botte, médias tenus en laisse et payés en espèces pour faits de propagande du RAVIP. La commission du RAVIP de dix-huit membres est sous la coupe de Talon. Composé de neuf membres du gouvernement et de neuf députés (7 de la majorité et 2 de l’opposition), elle n’est pas indépendante. Le ministre Djogbénou qui est avocat du Chef de l’Etat en assure la présidence. C’est un conflit grave d’intérêts ! La commission est simplement figurative et non associé à la réalisation opérationnelle des travaux. Selon le député Justin Adjovi, « le RAVIP tel qu’il est conduit, nous risquons d’avoir une liste uniquement établit par le gouvernement ! » . Tout se passe au Palais en catimini entre Talon et Djogbénou ! Autre insuffisance, le marché fut attribué à Safran qui travaillait déjà avant le vote de la loi sur l’identification en juin 2017. La nouvelle commission du RAVIP ne saurait travailler sans que le COS-LEPI soit dissout avant ! Voilà le chevauchement administratif et institutionnel entre le RAVIP et COS-LEPI !
IV. CONCLUSION
Les Objectifs politiques inavoués sont la mise en place d’une liste électorale taillée sur mesure avec des perspectives de contournement de la LEPI actuelle pour s’adjuger des législatives en 2019 et présidentielles en 2021 de pacotille. In fine, Talon vise une majorité parlementaire de députés godillots pour relancer la modification avortée de son projet funeste de révision constitutionnelle et ainsi asseoir sa ploutocratie.
Olivier DOSSOU, Analyste Politique.
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